En 1969, Thelonious Monk, venu à Paris pour un concert, participe à l’émission télé Jazz Portrait. Entre l’interprétation de quatre de ses titres, l’Américain répond aux questions d’Henri Renaud, pianiste lui aussi et producteur d’émissions musicales. « Donner l’impression qu’on est en direct, c’est ça qui est moderne », dit celui-ci, un brin pédant, dans un plan qui dévoile la mise en place du show télé, les techniciens qui s’installent, le pianiste qui essaie le Steinway.
Alors qu’il se documentait pour écrire un film sur Thelonious Monk – pas un biopic, plutôt des moments pris dans la vie du jazzman, pour faire un portrait kaléidoscope de ce génie à la carrière accidentée et à l’image malmenée par les médias –, Alain Gomis a découvert, à sa grande surprise, ces rushs non montés du matériau que lui envoyé l’INA.
Rewind and Play est un surgeon de ce projet plus ample qui reste à venir. Une esquisse des contours de ce personnage énigmatique. Monk devient comme une bête exotique dont on filme la barbe mal peignée et le visage de si près que son souffle embue la caméra.
L’inconfort diffus de l’entretien grandit à l’évocation du fiasco de la première visite de Monk en France, en 1959. Le musicien raconte sans détour le souvenir amer d’un séjour humiliant que l’intervieweur, aveuglé par un impensé raciste, demande à gommer. Impérial au clavier lorsqu’il joue, Monk dégouline de sueur à mesure qu’il descend les verres de whisky et devient mutique face aux questions biographiques sans intérêt ou désobligeantes. Le cinéaste franco-sénégalais contrarie le cours du direct, rembobine et remet sur lecture les minutes de cette entrevue qui devient dialogue de sourds, y mêle le off.
À la manière d’un DJ, il joue de cette archive en en samplant des morceaux. Il assemble le phrasé syncopé et entêtant du piano avec le soliloque du journaliste qui s’estompe jusqu’à l’inaudible. On comprend alors qu’aucun dialogue n’était possible sur la piste de ce cirque médiatique, entre celui qui ne veut pas entendre les vraies réponses à ses questions et celui dont la réplique favorite reste : « Je me contente de jouer. »
Rewind and Play d’Alain Gomis, JHR Films (1 h 05), sortie le 11 janvier