« Le Jeune imam » de Kim Chapiron : crise de foi

Après son teen movie turbulent de 2014, « La Crème de la crème », Kim Chapiron fait son grand retour au cinéma avec ce film plus sage, à la fois sec et profond. Entre thriller et récit initiatique, il raconte la quête de paix d’un jeune homme, entre la France et le Mali.


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Après une pause hors des circuits cinématographiques, Kim Chapiron (Sheitan, 2006, Dog Pound, 2010, et donc La Crème de la crème) revient avec Le Jeune Imam. L’histoire d’Ali, jeune habitant de la cité des Bosquets à Montfermeil (d’où la famille du cinéaste est originaire, comme son ami Ladj Ly, qui cosigne avec lui le scénario, aux côtés de Dominique Baumard et Ramzi Ben Sliman). À la suite d’un vol qu’il a commis, sa mère l’envoie dans une école coranique, au Mali (d’où elle vient), pour le remettre sur le droit chemin.

Après une ellipse qui laisse s’écouler plusieurs années, Ali revient en France, monte un business d’import­-export foireux et en vient à se rapprocher de l’imam du quartier. Sur le départ, celui-ci lui propose de prendre sa relève. De plus en plus populaire auprès des fidèles du quartier, Ali se lance dans une nouvelle affaire, qui part bientôt en sucette : l’organisation de voyages groupés pour des pèlerinages à La Mecque… Le pitch pourrait faire craindre un film maladroit sur la religion. Ou qui utiliserait la banlieue pour en faire le terrain d’un film d’action surexcité, viriliste, qui surferait sur notre époque crispée – l’énergique séquence d’ouverture, en forme de chasse à l’homme, nous a d’abord induits faussement dans ce sens. C’est toute la subtilité du récit que de nous faire croire qu’on ira à tel endroit, pour finalement nous déplacer vers des coins inattendus. Comme dans le chapitre malien du film : une parenthèse douce, apaisée, éclairée d’une lumière un peu bleutée, entre deux parties urbaines bien plus frémissantes.

À la fois ancré dans son temps – Ali est un imam nouvelle génération, qui maîtrise les réseaux sociaux – et hors du temps, le film joue sur plusieurs tableaux à la fois. Ce qui se sent également dans l’écriture des personnages, observés avec un regard tendre mais jamais doucereux. D’Ali (Abdulah Sissoko), on se demande toujours s’il est le fils prodige ou prodigue, l’enfant béni ou dilapidateur. De sa mère (magistrale Hady Berthe, une actrice non professionnelle – comme tout le casting – qui nous éblouit), on se dit qu’elle est une redoutable femme d’affaires et matriarche en même temps qu’une femme inquiète, aux gestes d’affection non pas absents mais pudiques. Comme dans La Crème de la crème, où trois étudiants de H.E.C. masquent derrière une combine bien huilée leur quête d’amour, les ruses de ce jeune imam ne sont qu’une façade pour cacher le même besoin simple, pur, mais difficilement avouable, de (re)connexion à l’autre.

Le Jeune Imam de Kim Chapiron, Le Pacte (1 h 38), sortie le 26 avril

images (c) Lyly Films – Srab Films

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Trois questions À KIM CHAPIRON

Quel a été le point de départ du film ?

Un fait réel qui nous a scotchés, Ladj et moi : une histoire d’arnaque au pèlerinage – on a ensuite découvert que ça se passait à plein d’endroits. La genèse du film, c’est cette question : comment la personne la plus aimée d’un groupe va devenir la plus haïe ? Et comment la filiation affecte nos choix, nos vies ? Ce qui est intéressant, avec un fait divers, c’est ce que ça génère d’inextricable.

Vos précédents films s’inscrivaient dans une veine moins réaliste et intimiste. 

Ça faisait longtemps que j’avais envie de faire un film comme ça. Il y a un genre japonais que j’aime beaucoup, le shomingeki, qui filme les gens ordinaires, s’intéresse aux non-dits – avec des réalisateurs comme Yasujirō Ozu ou Mikio Naruse… Mes films précédents s’intéressaient à la famille qu’on se crée. Là, c’est la famille qu’on ne choisit pas. Un endroit où il n’y a pas de masque, où on est dans la vérité des cœurs, de l’âme.

Les dialogues sont émaillés de références à des légendes mythiques, religieuses. 

En Afrique de l’Ouest, l’art du récit est ancré depuis un sacré bout de temps. J’ai eu la chance d’y aller une vingtaine de fois et d’y avoir rencontré d’autres points de vue sur le monde. L’amour que ces gens ont pour la narration me bouleverse. Moi-même, j’aime beaucoup raconter des histoires à mes enfants.