Pour le père de Dani, ce devait être le rôle de sa vie : celui d’un patriarche paranoïaque qui, par peur de bombardements sur Tel-Aviv, décide d’entraîner sa famille en pleine nuit jusqu’à Jérusalem. Mais, très vite, sa maladie l’empêche de poursuivre le tournage. Ses jours sont comptés. Tourner la même histoire sans ce père est inenvisageable : il faut inventer, ou plutôt « laisser s’inventer » un film qui prenne en charge ces événements.
Dani remet alors en scène, avec des doubles fictifs, l’échec du tournage puis la lente agonie de son père qui, dans cette version fantasmée, s’efforce malgré tout d’incarner le rôle écrit par son fils. Si le résultat a quelque chose de troublant, c’est qu’il s’agit moins d’un film que d’une (sublime) tentative de film, dans la fiction mais aussi dans le réel – le cinéaste y appose en effet d’autres images, documentaires cette fois, des derniers instants de son père comme de multiples archives de jeunesse.
Ces documents, fissurant la narration de leur mélancolie familiale, sont bouleversants car ils témoignent d’une volonté de remplir le cadre de l’image de ce père ; le remplir d’images du passé, à défaut de lui offrir un rôle dans le présent. S’il peut sembler vertigineux, ce télescopage trouve une cohérence inespérée dans les échos qu’il produit. Échos qui peuvent être purement émotionnels (un même lieu qui, en un raccord, vieillit de trente ans) ou narratifs, comme lorsqu’un film de jeunesse du cinéaste mettait déjà en scène la mort du père.
Cela passe également par un personnage, la mère de Dani, témoin de cette mort dans le réel et dans la fiction, dans laquelle elle joue son propre rôle ; habitant le film de sa présence silencieuse, elle est le seul relais entre toutes les images et, à ce titre, elle en est peut-être la véritable héroïne. Celle à qui le cinéaste a finalement offert le rôle d’une vie, concrétisant son propre désir de cinéma : celui de rejouer la mort du père dans la fiction, pour l’immortaliser comme pour la conjurer.
: La Mort du cinéma et de mon père aussi de Dani Rosenberg, Nour Films (1 h 40), sortie le 4 août