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« Ema » de Pablo Larraín : danse et résistance
- Louis Blanchot
- 2020-09-02
Après l’escapade américaine Jackie et ses sixties en 16 mm, retour au Chili et au contemporain pour Pablo Larraín, avec ce nouveau récit de femme en résistance et en butte aux conventions sociales. Le film est à revoir sur Arte en ce moment.
Après l’escapade américaine Jackie et ses sixties en 16 mm, retour au Chili et au contemporain pour Pablo Larraín, avec ce nouveau récit de femme en résistance et en butte aux conventions sociales.
Tony Manero, Neruda, Jackie, Ema : les prénoms et les patronymes pullulent dans la filmographie du prodige de Santiago. Une œuvre de portraitiste qu’on pourrait presque résumer en une frise de visages soudain ébranlés par les secousses du destin. Après s’être joué des conventions du biopic (la fuite de Pablo Neruda et le travail de deuil de Jackie Kennedy explorés comme de pures tempêtes mentales), le cinéaste se rabat sur la fiction sans rien perdre de son appétit iconoclaste: effets de mise à distance, ruptures de ton, lignes narratives qui filent dans toutes les directions, se contredisent parfois. Ema suit ainsi le combat quotidien d’une jeune danseuse dans son désir d’être mère – désir en forme de rage intérieure, qui devra faire face à toutes les oppositions de son environnement.
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Soumis à un régime de continuité chaotique qui donne le sentiment que le récit mélange les pièces de plusieurs puzzles, le film s’immerge jusqu’au cou dans la psyché de son héroïne en s’accordant à sa personnalité versatile – tour à tour individualiste et fédératrice, concupiscente et conflictuelle. Pour le spectateur, c’est une expérience trouble en forme de rêve éveillé, qui trouve ses vecteurs sensibles dans le réseau urbain sinueux de Valparaíso, la musique miroitante de Nicolas Jaar, ou bien les irruptions chorégraphiques de reggaeton ponctuant les péripéties.
Car, pour intimes qu’elles soient, les crises ont toujours, chez Larraín, la force de reconfigurer la réalité à leur guise – à grand renfort de cauchemars, de fantasmes ou d’hallucinations prophétiques. Ici, le désir maternel d’Ema (une référence au Madame Bovary de Flaubert ?) répond à une pulsion d’amour autant que d’apocalypse : la gestation y est un événement symbolique propre à tout faire sauter (les normes sociales, les structures de domination, les routines affectives), en imposant au monde la loi d’une volonté individuelle. Plutôt que de reconnecter les femmes aux impératifs de la nature et de la société, la maternité devient dès lors un acte terroriste, une puissance d’ébranlement aux conséquences potentiellement révolutionnaires.
Ema de Pablo Larraín, Potemkine Films (1 h 42), sortie le 2 septembre
Image : Copyright Fabula