On rencontre Kana (Yūmi Kawai) dans les artères fourmillantes de Tokyo, où elle traîne sa peau sans destination. La moue boudeuse, un bob vissé sur la tête. Est-ce la caméra qui zoome abruptement sur elle, les plans qui se succèdent comme des secousses ? Quelque chose nous dit que cette Japonaise de 21 ans a du mal à appartenir au monde.
Sentiment prolongé par la séquence suivante : alors qu’une amie lui confie être bouleversée par le suicide d’une ancienne camarade, Kana se laisse absorber par la conversation libidineuse d’une bande de garçons à propos de serveuses sans culotte…
Après plus de deux heures en compagnie de cette anti-héroïne flegmatique, cruelle – elle change de copains comme de chemise, écume les bars pour fuir la perspective du jour, elle qui travaille comme esthéticienne dans un centre de laser -, et soupe au lait, le doute persiste. D’où vient cette dissonance, cette imperméabilité aux douleurs comme aux joies ?
Des médecins douteux diagnostiquent à Kana un trouble bipolaire, ou borderline, qui sait ? Ou peut-être est-ce le syndrome d’une génération Z en pleine fatigue existentielle, sur qui tout glisse.
Il y a bien une troisième hypothèse, la plus politique. Kana a démissionné d’une société trop étriquée pour elle, qui lui rappelle sans cesse qu’elle n’existe que par sa beauté – les diktats patriarcaux ponctuent le film -, où l’amour s’est dilué dans des conventions, et profite toujours aux hommes.
Yôko Yamanaka filme cette colère rentrée dans un étrange exercice d’équilibrisme, oscillant entre une forme de comique désespéré – le corps de son personnage semble toujours lutter avant de s’écrouler – et une léthargie – de longs plans fixes, disséquant froidement des situations de rupture, de dispute. Dans les aspérités de ce personnage que l’on peine à aimer se formule le programme du film : pointer du doigt toutes les lâchetés du quotidien auxquelles on consent.
Desert of Namibia de Yôko Yamanaka, Eurozoom (2h17), sortie le 13 novembre