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Le film du soir : « Braguino » de Clément Cogitore
- Timé Zoppé
- 2020-04-16
De son enfance dans les Vosges, le plasticien et cinéaste Clément Cogitore (Ni le ciel ni la terre, 2015) a hérité une fascination pour la forêt, et l’envie de la filmer. Il y a quelques années, au détour d’un séjour à Moscou, il entend parler d’une famille qui vit isolée, en autarcie, dans la taïga sibérienne depuis quarante ans. Après une première visite en 2012, qu’il immortalise en photos, il revient en 2016 avec son chef opérateur pour tourner un moyen métrage documentaire, Braguino, diffusé cette semaine gratuitement sur la plateforme Le Cinéma Club.
Dans ce film, on découvre une famille, constituée de trois générations rassemblées autour du patriarche Sacha Braguine, dont l’utopie est menacée par des voisins corrompus et par l’irruption sur leurs terres de braconniers surarmés. Soit un incroyable roman russe aux accents de conte fantastique, dont on avait parlé en 2017 avec Clément Cogitore.
«Dans cet endroit de Sibérie, il ne fait quasiment jamais vraiment nuit, on est dans une sorte de crépuscule constant, au bord de l’obscurité. Ça a énormément marqué mon regard. Avec mon interprète et mon opérateur, on s’est aussi rendu compte qu’on filmait un monde en train de disparaître, une communauté très fragile face à toutes les menaces – conflits de voisinage, braconnage, incendies. D’où cette impression de fin du monde. Sacha Braguine est l’une des personnes les plus paisibles que j’aie jamais rencontrées. Il n’essaie pas de se protéger, de conquérir ou de convaincre. Cela en fait donc quelqu’un de vulnérable dans le monde dans lequel on vit. »
«Les enfants de cette famille se sont accommodés à la brutalité du monde sauvage. Dans le film, on voit les adultes chasser un ours, puis le découper. Cette petite fille a récupéré les chaussons confectionnés à partir des pattes de l’ours, elle se retrouve avec un monstre craint et redouté aux pieds. Souvent, les parents déposent les enfants sur cette île au milieu du fleuve. Pour eux, c’est autant une récréation permanente qu’une prison. Sous cette image idyllique, magique, de vie dans la nature, ce sont aussi des enfants livrés à eux-mêmes, sans projet ni structure, rien qui les amène à se construire, à part le fait d’aider leurs parents. La troisième génération de Braguine est quasiment muette. »
«J’avais acheté un petit vidéoprojecteur fonctionnant sur batterie. Le dernier soir, j’ai rassemblé tout le monde et je leur ai projeté mes photos d’eux. Les enfants étaient totalement subjugués. Ils avaient déjà vu des images imprimées, ou bien sur des smartphones – ceux des pilotes d’hélicoptères qui atterrissent là –, mais jamais d’images projetées. Quand j’ai arrêté, les enfants se sont réunis derrière le vidéoprojecteur pour comprendre où était l’image. J’ai commencé à leur montrer qu’on pouvait la projeter partout, même sur eux. Il y avait une résonance métaphorique, comme s’ils tenaient leur existence fragile dans leurs mains. »