Tu fais quoi à Paris cet été ?
Là je reviens de Bruxelles, où j’étais aux Beaux-Arts en danse. Je devais rentrer à Paris pour des projets mais c’était aussi une excuse pour partir. Je pensais qu’on allait apprendre des choses plus concrètes, mais c’était un peu pour des gens qui avaient déjà une idée précise de ce qu’ils voulaient faire. C’est arrivé juste après le film d’Erwan Le Duc [La fille de son père, dans lequel son personnage part étudier aux beaux-arts de Metz] qu’on a tourné l’été dernier. Je me suis retrouvée dans les mêmes déchirements que Rosa à l’idée de quitter son chez soi. C’était hyper drôle. Sinon, je vais commencer un film de Jessica Palud sur Maria Schneider qui est incarnée par Anamaria Vartolomei. Je joue son amoureuse. Puis j’irai au parlement Européen pour un film sur le lobby du tabac, une histoire vraie, réalisé par Antoine Raimbault [Une intime conviction] avec Bouli Lanners.
Anamaria Vartolomei incarnera Maria Schneider dans le biopic de Jessica Palud
Tu as toujours fait de la danse ?
J’en ai fait longtemps, j’ai arrêté, puis j’ai repris. C’est aussi le film d’Erwan [Le Duc] qui m’a donné envie de continuer. Je ne voulais pas faire une école de théâtre mais plutôt quelque chose qui passe davantage par le corps. A cette époque je n’avais pas de projets intéressants et je voulais pouvoir prendre le temps de faire d’autres choses à côté.
Qu’est-ce qui t’a plu dans Fifi ?
D’habitude, je ne cherche pas forcément à ce que le scénario soit très écrit, très sûr de lui. Mais là, je trouvais très réussi qu’il y ait déjà à l’écriture cette forme hybride qui va vers le conte, qui laisse le spectateur très libre d’interpréter ce qu’il souhaite. J’aimais qu’on prenne le temps de voir sa vie à elle. Je me disais aussi que la mise sous pli créerait de belles images.
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Le scénario, ce n’est pas forcément la première chose qui te fait accepter un film ?
Pour un premier film, c’est plus compliqué. Paul Saintillan et Jeanne Aslan sont scénaristes. La précision dans le scénario n’est pas forcément quelque chose qui me rassure mais là ça me plaisait. J’aimais que ce ne soit pas une simple comparaison de deux milieux sociaux. On connait déjà ce schéma et ce n’est pas très intéressant. Ici, c’est juste un cadre et on crée l’histoire au-delà de ça.
Comment abordes-tu un personnage ? Est-ce que tu as besoin de le comprendre ou bien de trouver sa démarche, ses gestes ?
Ça dépend beaucoup du metteur en scène. La démarche, tu la trouves forcément mais ça peut être aussi des choses très instinctives par rapport à l’espace où tu es, aux autres comédiens. Je ne cherche pas à comprendre le personnage, je le vois vraiment au présent, sans me projeter dans lui, sans essayer de lui trouver un passé. Après, peut-être que si un metteur en scène travaillait comme ça, ça pourrait m’amuser mais là pour l’instant je préfère ne pas mettre de limites pour qu’il y ait plein de possibilités, de contradictions.
Dans Les éblouis de Sarah Suco et dans En thérapie, tes deux personnages sont reliés à une pratique sportive. Tu associes le jeu à une performance physique ?
Je n’aime pas le mot de performance. C’est Erwan qui m’a apporté ça, qui m’a montré des films d’Aki Kaurismaki et m’a transmis l’importance de la gestuelle : aller au bout du geste, que ce soit quelque chose qui importe, que tout ait son poids. Dans la vie aussi, ça me plait de transcender ces gestes-là, de mettre des intensités à des endroits quotidiens. Les acteurs qui me touchent le plus sont ceux qui ont une gestuelle particulière comme Denis Lavant, Vimala Pons ou Jeanne Balibar. Ce sont des gens qui prennent ça très au sérieux.
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Dans Fifi, il y a un livre de Kafka qui joue le rôle d’entremetteur et permet à Fifi de découvrir une culture qu’elle ne connaît pas. Est-ce que l’accès à la culture a été facile pour toi ? Y a-t-il un livre, un film qui a bouleversé ta perception du monde ?
Dans ma famille, j’ai toujours eu accès à la culture, sans que mes parents soient des cinéphiles pointus. Après je pense que les grandes claques que j’ai pu prendre sont arrivées plus tard, quand j’ai découvert des choses seule. Robert Filliou m’a beaucoup marquée. J’avais 17 ans, je lisais pas mal de livres mais c’était des choses beaucoup plus classiques. J’ai découvert un univers complètement différent, avec des gens qui veulent juste s’amuser, ne pas être dans la performance, ne pas avoir d’ambition mais aller toujours chercher un ailleurs dans la liberté la plus totale. Robert Filiou et tout la bande du Fluxus… Tout ça m’amuse beaucoup.
Par quoi est passé ton envie de devenir actrice ?
Par la danse, le fait d’être sur scène puis le fait de faire du théâtre. Alors qu’en voyant des films je ne me disais pas : j’aimerais être à leur place. Il y avait quand même cette idée de fantasme, mais maintenant c’est plus une volonté de travailler au présent avec des réalisateurs, d’être complètement en phase avec eux, avec leurs idées de mise en scène. Plus jeune, j’ai l’impression que c’était plus les films qui venaient dans mon quotidien, qui me nourrissaient, qui influençaient ma manière de vivre que moi qui voulais me projeter en eux.
Il y a des films qui t’accompagnent tout le temps ?
Oui. Il y a eu plusieurs étapes dans ma cinéphilie. Les premiers films de l’enfance ce sont des comédies musicales, les films de Jacques Demy, Chantons sous la pluie [de Stanley Donen, Gene Kelly]. Il y a quelque chose de complet, de total : les sentiments, la gestuelle, la beauté des plans… Puis j’ai commencé à regarder des films dans mon coin comme Pierrot le fou [de Jean-Luc Godard]. J’aime encore tous ces films magnifiques mais j’essaye aussi de m’en affranchir. Le visage d’Anna Karina, c’est énorme dans le cinéma. Aujourd’hui, j’aime beaucoup Sophie Letourneur. J’ai hâte de voir Anatomie d’une chute de Justine Triet, j’ai vu tous ses films. J’aime beaucoup Guillaume Brac, ses films sont tellement sensibles, tendres, j’aime ce rapport qu’il a aux espaces comme Rohmer. Alan Guichaoua le chef opérateur de Fifi a travaillé sur A l’abordage et c’était aussi ça qui me donnait envie d’être sur le film.
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J’ai lu que tu étais fan de Jacques Rozier, tu étais triste d’apprendre sa mort ?
Oui. Ses films ont été très importants pour moi.
Son cinéma est-il un idéal de liberté pour toi ?
Ah oui, faire ça sans scénario ! Il y a une tolérance et une bienveillance totale et beaucoup d’amusement. Je suis fascinée par la façon dont il arrive à capter des instants réels. Il y a tellement de choses souterraines à voir, c’est trop beau. J’aime beaucoup aussi Rivette, Kaurismäki, Jarmusch. J’ai découvert une réalisatrice allemande récemment sur MUBI : Helke Sander, elle est photographe à la base je crois. Elle vivait en RFA, à Berlin Ouest avec une bande de filles qui essayaient de faire leurs photos. Ses films sont des histoires de quotidien et j’aime les films qui parlent de quotidien qui sont sur des temporalités réduites, un peu comme dans Fifi. Ce sont des choses très concrètes mais aussi très poétiques. Je suis allée voir des films d’Eustache aussi. C’est vraiment un témoignage de mecs assez affreux, frustrés, obsédés, de cette époque-là et je trouve ça bien que ça ne soit pas trop romantisé. Les films sont hyper beaux. Plus ça va, plus j’aime les films qui s’approchent du documentaire dans la manière de poser le récit dans le monde tel qu’il est, de respecter ça. J’ai l’impression que ça a de moins en moins de sens d’imposer complètement de la fiction dans le monde dans lequel on vit.
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Dans La fille de mon père, on a l’impression qu’Etienne le personnage joué par Nahuel Perez Biscayart essaye un peu de retenir l’enfance de Rosa, tout en la laissant partir. Quel rapport tu entretiens avec ta jeunesse ?
Je suis un peu d’accord avec tous les personnages du film, même quand l’agent immobilier dit : « Lâche ça un peu, c’est chiant pour toi, c’est chiant pour tout le monde! ». Il faut avancer et ça je le comprends. Mais je suis complètement le cul entre deux chaises par rapport à ces trucs-là : je suis très nostalgique et en même temps j’ai envie de faire des choses, je ne suis pas dans le regret du passé.
Nostalgique de ton enfance ?
Oui complètement, ou des lieux. Quitter des lieux, des personnes c’est toujours un déchirement, les traces qu’on y laisse… On est tellement poreux aux espaces, aux objets. Ça peut être aussi très joyeux, c’est bien d’avancer mais c’est un peu violent aussi. Lire ce scénario d’Erwan qui traitait de ces questions, ça m’a complètement bouleversée et je suis en plein dedans, parce que j’ai 20 ans.
Tu as eu besoin à un moment de t’émanciper de ta famille ?
Je commence à comprendre que j’ai envie de m’ancrer ailleurs tout en restant proche de ma famille, mais je n’ai jamais eu de moment de rupture avec elle. J’ai toujours été plutôt émancipée. J’ai ce même rapport d’amitié qu’il y a dans le film avec mes parents. Ils m’ont toujours fait comprendre que je pouvais autant leur apprendre de choses qu’eux le pouvaient. Par rapport à la question de la culture de tout à l’heure par exemple, ils nous ont toujours laissée libre d’être curieux.
Est-ce que tu te sens de ton époque ?
Oui, je n’ai pas du tout envie de regretter une époque que je n’ai pas connue. Je suis bien dans la mienne notamment par rapport aux choses qui se font avec des comédiens, des comédiennes. Là par exemple, il y a une association d’acteurs·rices qui se crée qui s’appelle l’ADA qui prépare une charte pour respecter le droit du travail sur les tournages. Je ne suis pas totalement investie dans ce groupe mais de voir ces choses-là, de faire partie de ça malgré tout, c’est joyeux.
J’ai lu ou entendu dans une interview que petite tu t’identifiais davantage aux personnages masculins et que tu jouais aussi d’une allure un peu androgyne.
Ah oui ? Je ne m’en rappelle pas. Mais mon rapport à la féminité dans la vie et au cinéma est très différent. Dans la vie, je suis plutôt coquette mais au cinéma j’ai l’impression que comme la féminité est poussée de manière plus extrême, je suis plus, pas androgyne, mais plus robuste. Ce qui est sûr c’est que le jeu de la séduction au cinéma n’est pas mon exercice de prédilection, je ne sais pas vraiment le faire, ça peut créer des décalages qui sont assez marrants. J’ai fait un rôle où je devais être séduisante et c’était très bizarre. C’est un premier film dans lequel je tombe amoureuse d’un vampire, je devais dévoiler un peu ma nuque et je n’avais aucune idée de comment être dans la franche séduction. J’ai sans doute dit ça parce que les films que je regardais petite était des vieux films dans lesquels les rôles masculins avaient la niaque. Peut-être que je fantasmais plus l’idée d’être un acteur qu’une actrice, ils avaient l’air de plus s’amuser. Mais dans mes films aujourd’hui, ces pôles-là de masculin/féminin, je m’en fous complètement.
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