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CANNES 2024 · « Megalopolis » de Francis Ford Coppola : expérience délirante

  • Damien Leblanc
  • 2024-05-17

[CRITIQUE] Avec ce film ultra attendu, Francis Ford Coppola signe une fable futuriste déconcertante, pamphlet inclassable où la tonalité de soap opera cohabite avec des visions fulgurantes et une foi inaltérable dans l’expérimentation.

Megalopolis était sans doute le film le plus attendu de la Compétition cannoise : marquant le retour au cinéma de Francis Ford Coppola treize ans après Twixt, cette fable politico-futuriste représente surtout un projet que le cinéaste doublement palmé murit depuis plus de 40 ans et qu’il a lui-même financé suite aux refus de nombreux studios hollywoodiens, pour un budget estimé à 120 millions de dollars. 

Et le moins que l’on puisse dire à la vue de l’œuvre est que l’esprit d’indépendance et d’avant-gardisme qui a si souvent caractérisé le réalisateur d’Apocalypse Now s’avère plus que jamais perceptible. Présenté dès l’introduction comme une épopée romaine transposée dans une ville américaine moderne rebaptisée « New Rome », ce film déroutant assume une intrigue de soap opera kitsch où les personnages professent d’emblée à cœur ouvert leurs émotions et leurs desseins. On suit ici le conflit public qui oppose Cesar Catilina (Adam Driver), architecte de génie ayant inventé un matériau miraculeux et imaginant une cité futuriste utopique, et Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), maire de New Rome qui souhaite privilégier la gestion au quotidien de sa ville, menacée par une grave crise économique et sociale.

Autour d’eux, une galerie de personnages (la fille du maire jouée par Nathalie Emmanuel, une journaliste peu scrupuleuse incarnée par Aubrey Plaza ou un vil intriguant campé par Shia Labeouf) vont rejouer l’éternelle lutte entre le romantisme des rêveurs et la cupidité des autres, sur fond d’effondrement moral des États-Unis, ce qui n’est pas sans rappeler l’ombre que fait planer un certain Donald Trump sur la démocratie américaine (des allusions à l’attaque en 2021 du Capitole jalonnent le récit).

Mais ce qui semble le plus intéresser ici Coppola est bien de livrer un univers sensoriel, atmosphérique et artistique à nul autre pareil, rempli de couleurs chatoyantes et d’expérimentations visuelles faites de surimpressions d’images dignes de l’expressionisme allemand de Fritz Lang (Metropolis) ou Murnau (L’Aurore). L’expérience génère ainsi de fascinantes sensations de flottement, de déréalisation et de rêverie.

Plus proche du mal-aimé Coup de coeur que de l’adulé Le Parrain, le cinéaste de 85 ans cultive en même temps une forme de liberté narrative et d’entêtement scénaristique qui donne lieu à des dialogues parfois confondants de platitude (qui alternent avec des citations littéraires et des phrases philosophiques de Marc-Aurèle) et à des intrigues secondaires gênantes, notamment dans son approche datée de figures féminines à la vénalité exacerbée. 

De cette vaste rencontre entre fulgurances plastiques et pesanteurs thématiques, le film tire pourtant une personnalité inclassable et délirante, où refait surface l’espoir presque naïf de Coppola dans les puissances de l’art, du cinéma et des passions amoureuses, toutes capables de venir à bout de la malveillance et de la violence humaines. Derrière l’ambition d’une œuvre qui mêle péplum, comédie sarcastique, mélo sentimental, science-fiction ou film de gangsters, on se prend à penser que Megalopolis contient un autoportrait sincère du cinéaste, qui confie ici à nouveau combien le poète idéaliste et l’homme d’affaires brutal ont coexisté en lui tout au long de sa carrière. Et puisque le destin individuel de Coppola s’entremêle avec celui de l’Amérique, et ses évolutions politiques, ce film aux allures désuètes finit par porter en lui une pertinence et une dimension très actuelles.

Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 14 au 25 mai 2023. Tous nos articles sur l’événement sont à suivre ici.

Illustrations : Le Pacte

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