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« Les Fantômes » de Jonathan Millet : réparer les vivants

  • Margaux Baralon
  • 2024-05-14

[CRITIQUE] Présenté en ouverture de la Semaine de la critique de Cannes en mai, « Les Fantômes », très beau film hanté de Jonathan Millet, fait le pari de raconter l’exil par le prisme d’une traque : celle à laquelle le jeune Hamid (époustouflant Adam Bessa) participe pour retrouver un criminel de guerre syrien.

Il n’y a guère que les souffles haletants des hommes pour percer la noirceur de la scène d’ouverture des Fantômes. Le premier long métrage de fiction de Jonathan Millet commence dans l’ombre la plus totale, à l’intérieur d’un camion, d’où s’extirpent des corps blessés, fatigués, abandonnés dans le désert syrien. L’un d’entre eux, celui de Hamid, survivra. On le retrouve un peu plus tard à Strasbourg, arpentant les camps de réfugiés pour, sans relâche, demander si quelqu’un a déjà vu l’homme dont il tend une photo floue. Ce serait un ami d’enfance. En réalité, son geôlier dans la terrible prison militaire de Saidnaya, dont il est sorti marqué à vie. Membre d’une cellule secrète, il le cherche dans toute l’Europe.

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Venu du documentaire, médium avec lequel il a filmé les pays lointains et en guerre, Jonathan Millet embrasse pour la première fois la fiction et le fait totalement. Pour raconter l’exil, qui l’obsède depuis 2014 et Ceuta, douce prison, le réalisateur passe par le film d’espionnage et la tension permanente qui va avec. Ici, les couloirs d’une université strasbourgeoise deviennent un terrain de chasse, un déjeuner au restaurant se mue en interrogatoire. Les Fantômes impressionne par son rythme d’une implacable précision, cette oscillation permanente entre le doute, l’opaque, et la sortie du brouillard.

Mais le tour de force de Jonathan Millet est surtout de respecter jusqu’au bout la conduite édictée par sa toute première scène : éviter l’image systématique pour lui préférer un long métrage sensoriel enveloppant. Exit les flash-back explicites, qui auraient pu être doloristes, lourdingues, ou les deux. Le récit des tortures passe par l’écoute des voix de ceux qui les ont subies, les souvenirs remontent grâce aux odeurs, toucher un jouet ressuscite l’enfant disparu. Les revenants sont partout dans ce beau film hanté par l’absence et le manque, y compris chez ceux qui ont survécu. Le magnifique Adam Bessa, déjà seul et abandonné dans Harka (de Lotfy Nathan, sorti en 2022), incarne un Hamid à la fois terriblement vivant et toujours sur le point de disparaître, sans qu’on sache s’il sera d’abord rattrapé par sa mission ou par ses fantômes. 

Les Fantômes de Jonathan Millet (1h46, Memento Distribution), sortie le 3 juillet

Image : © Films Grand Huit - Kris-Dewitte

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