Il est des cinéastes français qui creusent leur sillon loin du réalisme social, qui observent les êtres avec une curiosité renouvelée et surtout de la fantaisie ; celle des est à prendre au sens féerique du terme, ancrée dans les décors montagneux qu’ils affectionnent depuis leurs débuts. Cette fois auprès d’un ouvrier en intérim nommé Aymeric (Karim Leklou) qui rencontre Florence (Laetitia Dosch, dans l’un de ses meilleurs rôles), au début des années 2000 dans le Haut-Jura. Elle est aventureuse, optimiste, indépendante. Elle est aussi enceinte de six mois, alors c’est décidé : Aymeric sera le père de l’enfant, nommé Jim.
Vingt minutes sont passées que tout est sublime à n’en pas croire ses yeux, dans l’égale sensualité des corps et la grâce de l’écriture. C’est assez rare pour le dire : les Larrieu filment ces « prolos » comme les héros romanesques qu’ils sont. Ils les filment avec un naturel fou, c’est-à-dire sans « naturalisme » mais avec une telle dignité qu’on leur autorise précisément les écarts et la fantaisie. Une telle dignité qu’on ne les juge pas, jamais ; ils existent et c’est déjà un cadeau. Tout comme ce Jim dont il faut bien prendre soin, malgré l’irruption du père biologique (Bertrand Belin) dans l’équation. Sans pertes ni fracas, se dessine un trio autour de l’enfant.
Les frères Larrieu, cime parfaite
Puis les années passent et Aymeric se défait de son rôle : mais au juste, c’est quoi un père ? Chapitré au fil du temps, Le Roman de Jim répond d’une logique purement sentimentale ; les grands mélos exigent et l’un et l’autre. Les Larrieu sont forts pour saisir la beauté de l’instant, qui renvoie à l’omniprésence de la photographie dans le film. Leurs dialogues sont taillés pour émouvoir sans détour, sans s’embarrasser d’un discours qu’ils relèguent en voix off ; chaque scène vaut alors pour un détail qui la rend unique. Et l’émotion d’affleurer par torrents sans qu’on comprenne toujours pourquoi, recette qui tient autant à leur sincérité qu’à l’alchimie très musicale de leur cinéma. À tel point que les styles musicaux s’y confondent et s’envisagent comme le lien occulte entre les personnages, qui communiquent par mélodies interposées ; énième idée géniale sortie tout droit de la galaxie Larrieu.
Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 14 au 25 mai 2023.
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