Cannes 2024CinémaPETIT ÉCRANCultureQUEER GAZEDIVINE GANGI.A. QUOI ?Le magazine
  • Cannes 2024
  • Article
  • 3 min

CANNES 2024 · « Anora » de Sean Baker, diamants sur canapé

  • David Ezan
  • 2024-05-22

[CRITIQUE] Sean Baker n’a rien perdu de sa fascination pour une Amérique en forme de melting pop, où les rêves de gloire se déforment violemment à l’aune d’une société sans foi ni loi. La preuve avec ce film exaltant sur le destin tragicomique d’une strip-teaseuse, qui vient de remporter la Palme d'or 2024.

Ani (époustouflante Mikey Madison) est strip-teaseuse dans un club new-yorkais lorsqu’elle fait la rencontre d’un grand ado flambeur, fils d’un oligarque russe laissé seul pour quelques semaines. L’occasion est trop belle pour s’enfuir à ses côtés et vivre enfin son rêve de petite fille, drapée dans des suites princières. Les contes de fées, Sean Baker connaît ; The Florida Project (2017) se situait déjà à l’ombre de Disney World. À l’ombre seulement, quand Anora nous y plonge cette fois pour de vrai. Et la jeune Ani de goûter aux dollars allongés par son golden boy, autre genre de « laissé-pour-compte » dont le quotidien se réduit à dilapider la fortune familiale. Sans aucun didactisme, Baker s’arrime à ses personnages et à leurs pulsions ; à tel point que le récit file en roue libre, s'improvise presque d’une scène l’autre. On est comme pris dans un tourbillon, où la mise en scène dit bien ce culte du plaisir immédiat.

CANNES 2024 · Sean Baker : « Aux Etats-Unis, tout est un conte de fées et un cauchemar en même temps »

Lire l'interview

De surprise en surprise, le film déraille pourtant lorsque l’illusion prend fin : le golden boy n’est qu’un fils à papa et il va bien devoir rendre des comptes. Ce n’est alors que le début d’une nuit folle pour Ani, bien décidée à défendre ses nouveaux privilèges. Entre autres séquences élastiques, le film est basé sur une mécanique de l’épuisement qu’on croirait sortie d’After Hours (1985) ou plus récemment du Good Time (2017) signé des frères Safdie. Avec un certain génie, Baker fait d’une échappée romantique façon Pretty Woman (1990) un gaspillage aux proportions atomiques ; gaspillage de temps, d’argent mais aussi de sentiments. Loin d’en tirer un propos moralisateur ou d’en accuser des causes toutes faites, le cinéaste s’en amuse : si l’état du monde est un vaste gâchis, il faut s’y vautrer à fond ; il faut lui consacrer un film. Cette jeunesse enfantée par le néolibéralisme, Baker la comprend et la regarde avec une bienveillance désarmante. Il comprend qu’elle est désormais orpheline, en témoigne le choix d’une héroïne experte en autodéfense qui rappelle Showgirls (1995) et sa mythique Nomi. Aux petits orphelins de l’Amérique, Sean Baker ne pouvait ainsi pas mieux rendre hommage. Ni mieux transformer la boue en diamants, six carats minimum.

Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 14 au 25 mai 2024. Tous nos articles sur l’événement sont à suivre ici.

Image : © FilmNation Entertainment

Inscrivez-vous à la newsletter

Votre email est uniquement utilisé pour vous adresser les newsletters de mk2. Vous pouvez vous y désinscrire à tout moment via le lien prévu à cet effet intégré à chaque newsletter. Informations légales

Retrouvez-nous sur