Du haut de ses trois films, le Singapourien Anthony Chen glisse lentement vers un langage purement sensoriel. Preuve en est avec ce curieux trio de gueules cassées, duquel l’épure psychologique confine à un cinéma quasi muet ; ainsi, l’on saura peu de choses sur Haofeng, Nana et Xiao, trois astres solitaires qui s’alignent mystérieusement un soir d’hiver, à Yanji. Un coup de foudre mutuel, c’est ce que raconte le cinéaste ; mais un coup de foudre inqualifiable, indéchiffrable pour les personnages eux-mêmes.
C’est qu’on suit trois grands désaxés de la Chine contemporaine, comme égarés dans un corps et un destin qu’ils subissent. À peine esquissés, leurs traumatismes sont presque ancrés dans le décor : une ville-monde glacée en forme de hub industriel, aux frontières de la Corée du Nord et de la Russie. Un lieu idéal pour sonder cette jeunesse qu’on dit sans avenir, voire basculer avec elle le temps de quelques nuits d’ivresse.
Programme qu’on devine hanté par Millennium Mambo de Hou Hsiao-hsien (2001), auquel Anthony Chen emprunte la dimension impressionniste et le goût des longues séquences musicales – en l’occurrence électroniques. Lettre d’amour à ce film matriciel et aux puissances incantatoires du cinéma, Un hiver à Yanji assimile aussi sa mélancolie à un bonheur qu’on sait partagé mais éphémère.
Un hiver à Yanji d’Anthony Chen, Nour Films (1 h 37), sortie le 22 novembre
Image (c) Nour Films
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