CANNES 2023 · « Boléro », le court électrisant de Nans Laborde-Jourdàa

Dans « Boléro », son magnifique court métrage présenté à la Semaine de la critique, le réalisateur de « Léo La Nuit » raconte le retour inquiet d’un danseur dans ses Pyrénées natales. Sa session drague va dériver vers une hallucinante cérémonie dansée dans des toilettes de supermarché, comme un rituel de réenchantement queer.


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Originaire des Pyrénées comme Maurice Ravel, Nans Laborde-Jourdàa s’est peut-être identifié à l’espièglerie du compositeur, son art de faire vriller les canevas attendus, sûrement aussi son ambition de tendre avec son célèbre Boléro à une œuvre « musico-sexuelle », selon les propres mots du musicien.

Nans Laborde-Jourdàa : « On travaille sur la crête entre le vrai et le faux, le noble et le mauvais goût. »

Car la version du Boléro proposée par le cinéaste en 2023 s’apparente bien à une ardente invocation qui nous fait avancer téléguidés, fiévreux, comme envoûtés. Il y suit Fran (campé par le danseur et chorégraphe François Chaignaud), son alter ego au look androgyne, de retour pour quelques jours dans son village béarnais natal. On lui sent l’envie de vite décamper, sa visite se fait sous la pression de sa famille – qui lui demande combien de temps il reste, s’il sera là à Noël…

Le choix de Chaignaud pour incarner Fran dit déjà tout du projet de Nans Laborde-Jourdàa : la présence seule du danseur fait basculer l’énergie d’un plan, l’échauffe d’une sorte d’électricité queer. Il s’agit pour le réalisateur de revisiter les lieux de son enfance, pas toujours les plus luxuriants, une partie du film se déroulant dans les toilettes d’un supermarché. Il révèle pourtant la part troublante de sensualité de ce lieu, l’érige en édifice mémoriel, quasi sacré. On comprend que Fran vient y chercher quelque chose de son passé, qu’il y a vécu ses premières sessions cruising.

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C’est là que tout se reconfigure : Fran s’enferme dans les toilettes et se lance dans une danse heurtée, conjuratoire, comme un rituel d’affirmation et de réenchantement. Sur et sous la porte, se jetant dans le moindre de ses frémissements, Nans filme l’attitude fierce de Fran, ses mains sorcières oblongues, son pas éperdu, dont soudain la cadence aimante inexplicablement tout le village dans les WC. Jouant sur la musicalité moite des respirations, le cinéaste filme cette transe à la façon du Jean Genet d’Un Chant d’amour, inventant entre les murs des passages secrets où le désir s’infiltre, célébrant la volupté des corps de tous les âges et de toutes les formes.

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La danse se mue alors en procession sacrificielle, l’assemblée trimballe le corps épuisé de Fran à travers une montagne magnifiée dans une série de tableaux d’ensemble hyper composés. Avec malice et flamboyance, Nans Laborde-Jourdàa marque la trace du passage de Fran en allumant des feux dans chaque plan, glissant une touche d’érotisme discrète qui transfigure le paysage. Ce qu’il y a de très beau, c’est qu’on a alors le sentiment que le geste de Fran (et par lui de Nans Laborde-Jourdaà) s’envisage tout à la fois comme une offrande et une réappropriation.

Le Festival de Cannes se tient cette année du 16 au 27 mai 2023. 

Images (c) DISTRIBUTION MANIFEST