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Boris Lojkine : « Le réel nous fournit tout ce qu’on peut et doit raconter »

  • David Ezan
  • 2024-10-08

Au dernier Festival de Cannes, les lumières se seront peu de fois rallumées sur autant de visages bouleversés. Auréolé du Prix du jury et du Prix d’interprétation masculine au Certain Regard, « L’Histoire de Souleymane » est pourtant un film sans fard sur le quotidien d’un livreur à vélo demandeur d’asile comme sur le destin d’un acteur extraordinaire : Abou Sangare. On a rencontré son réalisateur Boris Lojkine pour l’occasion, tandis qu’il le présentait au Festival de La Rochelle Cinéma.

Vous vous intéressez à l’exil depuis plusieurs années. Qu’est-ce qui vous y pousse si intimement ?

Au début, je n’étais pas tourné vers l’Afrique mais vers l’Asie ; je suis parti au Viêtnam dans ma jeunesse, j’y ai appris la langue... J’ai pourtant écrit mon premier film de fiction, Hope (2014) [qui raconte l’histoire d’amour entre deux migrants camerounais et nigérians, ndlr], lors d’un voyage en Afrique et je n’ai plus quitté ce continent ; j’y suis même devenu producteur ! Rien ne m’y prédestinait, alors pourquoi l’exil ? Je pense avoir trouvé dans ce thème les moyens de faire le cinéma qui m’intéresse ; un cinéma épique dans ses enjeux et ultraréaliste dans son esthétique. C’est cette jonction-là qui m’intéresse.

L’Histoire de Souleymane semble particulièrement documenté. Quel fut le cheminement d’écriture et de rencontres à son origine ?

À l’époque de Hope, j’avais d’abord écrit seul avant d’aller sur le terrain. Cette fois, j’ai l’impression d’avoir fait les choses dans l’ordre ! Dès le départ, et c’est rare en France, j’ai engagé Aline Dalbis [documentariste et directrice de casting spécialisée dans le casting sauvage, ndlr] sur un poste crédité en « repérages d’écriture » au générique. Elle est très forte pour aborder les gens dans la rue. À ce moment-là, je savais que je voulais consacrer un film aux livreurs à vélo... sans savoir quelle histoire j’allais raconter. Je me suis en fait nourri des histoires racontées par ceux qui ont accepté de s’entretenir avec nous. Puisque la livraison est au plus bas de l’échelle, on y trouve les immigrés les plus récemment arrivés ; autrement dit les Ivoiriens et les Guinéens. Je me suis intéressé à la communauté guinéenne, dont certains ont obtenu l’asile il y a quelques années.

L’Histoire de Souleymane semble particulièrement documenté. Quel fut le cheminement d’écriture et de rencontres à son origine ?

À l’époque de Hope, j’avais d’abord écrit seul avant d’aller sur le terrain. Cette fois, j’ai l’impression d’avoir fait les choses dans l’ordre ! Dès le départ, et c’est rare en France, j’ai engagé Aline Dalbis [documentariste et directrice de casting spécialisée dans le casting sauvage, ndlr] sur un poste crédité en « repérages d’écriture » au générique. Elle est très forte pour aborder les gens dans la rue. À ce moment-là, je savais que je voulais consacrer un film aux livreurs à vélo... sans savoir quelle histoire j’allais raconter. Je me suis en fait nourri des histoires racontées par ceux qui ont accepté de s’entretenir avec nous. Puisque la livraison est au plus bas de l’échelle, on y trouve les immigrés les plus récemment arrivés ; autrement dit les Ivoiriens et les Guinéens. Je me suis intéressé à la communauté guinéenne, dont certains ont obtenu l’asile il y a quelques années.

« L’Histoire de Souleymane » de Boris Lojkine, à corps perdu

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Quelque chose frappe, c’est l’impression de redécouvrir un Paris invisible au cinéma. Que vouliez-vous en capturer ?

J’avais très envie de filmer cette ville, aussi car je suis frustré du Paris germanopratin qu’on voit dans la plupart des films français. Lorsqu’on pense à New York et au cinéma des années 1970, on pense au métro aérien – mais on l’a nous aussi ! Il y a une énergie folle dans les quartiers Nord de Paris. On a beaucoup travaillé au montage son ; la seule musique présente dans le film, c’est une symphonie pour klaxons et sirènes ! J’ai longuement négocié avec l’ingénieur du son pour tourner des scènes dialoguées en pleine rue. C’est peut-être embêtant pour les acteurs professionnels, mais c’est plus rassurant pour les non-professionnels.

Comment avez-vous pu tourner de manière si légère en plein Paris, très concrètement ?

On ne le fait presque plus et c’est dommage, car c’est un dispositif génial. Si nous avons parfois tourné sur un mode plus classique, nous étions seulement quatre pour beaucoup de scènes en extérieur ; l’ingénieur du son, le chef opérateur ont dû endosser le rôle qu’on attribue d’habitude à deux personnes. Lorsque je prépare un film, je pense aussi en termes de production. Je sais que plus l’équipe est réduite, moins elle coûtera cher et plus on pourra tourner longtemps. On pourra faire plus de prises, aller au bout des scènes... faire du cinéma, tout simplement. En y réfléchissant, le cadre technique du cinéma de fiction est très contraignant ; il conditionne la forme des films. On trouve des choses beaucoup plus surprenantes en documentaire.

Au milieu, il y a cette folle présence dégagée par Abou Sangare, l’interprète de Souleymane. Comment l’avez-vous rencontré puis embarqué dans ce projet ?

Après l’écriture du scénario, on a poursuivi le travail avec Aline auprès d’authentiques livreurs. On en a vu beaucoup, sans trouver notre Souleymane. On a donc élargi notre zone de recherche jusqu’à Amiens, auprès d’une association d’éducation populaire. C’est là qu’on a rencontré Sangare. On l’a revu en entretien puis en casting improvisé. D’habitude, les essais sont toujours moches ; c’est tourné dans un décor ignoble, sous une lumière affreuse ! Et pourtant Sangare nous a émus lors d’un moment de silence. C’est comme s’il tombait en lui-même, c’était saisissant.

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À quel point a-t-il mis de son propre parcours dans le personnage ?

Sangare n’était pas livreur, il ne vivait pas à Paris et il n’avait jamais demandé l’asile. Ceci dit, il est arrivé en France lorsqu’il était mineur ; il a demandé à ce qu’on le reconnaisse comme tel, mais on ne l’a pas cru. Se tenir seul en face de l’administration, il sait ce que c’est. Et puis ce qu’on a puisé de sa propre histoire, c’est surtout la raison de son exil. Je me souviens de cette phrase qu’il a prononcée lors du premier entretien : « Ma mère est diabolique. » J’ai mis du temps à comprendre qu’il parlait en fait de maladie mentale et de stigmatisation. Il a accepté de le partager dans le film, c’était important puisqu’on y raconte l’histoire d’un garçon qui passe du mensonge à la vérité. Je tenais à ce que cette vérité ne soit pas fabriquée. Tout comme je tiens à dépasser le jeu, l’illusion propres au cinéma dans mon travail.

Ce que livre Abou Sangare dans la dernière séquence est ahurissant. Qu’avez-vous mis en place pour atteindre un tel état de grâce ?

La première partie de la scène a été tournée de manière très linéaire, très précise. On a ensuite pris deux jours pour tourner la seconde, cette fois de manière plus émotionnelle. On s’est questionné avec lui, depuis les expériences qu’il nous avait confiées : le rapport à sa mère, les tortures qu’il a subies en Libye... C’est un grand traumatisé, y compris par sa situation actuelle en France. À ce traumatisme s’ajoute aussi celui du mensonge pour Souleymane. Cela m’a frappé chez les Guinéens, qui sont souvent élevés dans un cadre moral très strict et qui sont forcés de vivre dans le mensonge une fois en France.

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Souleymane a un rôle à jouer, il est comme absent à lui-même ; on lui demande en fait de s’oublier. Qu’est-ce que cela raconte, pour vous ?

Lorsque je m’entretenais avec des livreurs à vélo demandeurs d’asile, j’ai réalisé que beaucoup se mentaient également entre eux. On leur dit de ne pas raconter leurs démarches. Ils sont tenus au secret, sans parler du fait qu’ils travaillent sous une fausse identité. Quand ils appellent leur famille restée au pays, c’est pareil : ils préfèrent mentir et rassurer leurs proches. Peu à peu, ils s’éloignent de ce qu’ils sont vraiment ; c’est extrêmement perturbant. Ils sont dans une tension permanente. Je crois que c’est ce qui produit l’émotion à la fin, où soudain les digues cèdent.

Pendant la présentation cannoise du film, Abou Sangare était sous obligation de quitter le territoire. Il a été récompensé du Prix d’interprétation ; qu’en est-il de sa situation aujourd’hui ?

Sangare est arrivé en France lorsqu’il avait 16 ans, en 2017. Il a trouvé de l’aide auprès de l’association Réseau Éducation Sans Frontières, il a été pris en charge dans un foyer et il a obtenu un bac pro mécanique. Un garage l’a embauché et proposait de l’engager en CDI, cadre possible pour une demande de régularisation, mais la préfecture le lui a refusé. Avant la présentation du film à Cannes, un recours lui a encore été refusé sous prétexte qu’il n’a pas de famille en France. Cela me semble particulièrement inhumain, d’autant plus que Sangare a vécu ces sept dernières années ici. Il a ensuite remporté le Prix d’interprétation, on a fait un recours par l’intermédiaire du ministère de la Culture et la préfecture de la Somme l’a informé fin août de la possibilité qu’il fasse un nouveau recours. Et s’il est protégé par les recours, Sangare ne peut pas travailler entre-temps ; il est dans les limbes d’une attente et d’une menace sans fin. C’est difficile à supporter psychologiquement. C’est pourtant en France qu’il a des amis et des opportunités professionnelles. En lui remettant son prix, Xavier Dolan lui a affirmé : « Tu es un acteur, un vrai. Tu peux continuer car tu as un don. »

L’Histoire de Souleymane, sortie le 9 Octobre de Boris Lojkine, Pyramide (1 h 33)

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