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Blanche Gardin, dame de pique
- Renan Cros
- 2017-05-10
Quand on rencontre Blanche Gardin dans le hall de L’Européen, salle de spectacle intimiste où elle reprend son dernier « seule en scène », Je parle toute seule, pour une salve de dates à guichets fermés, on découvre une femme menue, souriante, presque discrète. Pourtant, son spectacle, interdit au moins de 17 ans à sa demande, affiche d’emblée la couleur : Blanche est trash. « Je ne cherche pas à provoquer les gens. Ça ne m’intéresse pas, nuance-t-elle avec fermeté. Je déteste le malaise. C’est le contraire de l’humour. » Quand on lui rétorque que le spectacle aborde quand même frontalement des sujets tabous et très intimes sur des détails sexuels scabreux, la maladie, ou même la mort d’un proche, elle penche la tête d’un air amusé. « Que je vous bouscule, ça d’accord. Mais c’est fait en toute connaissance de cause. L’humour est une histoire de complicité. À partir du moment où il y a de la violence, ça ne marche plus. »
L’univers de Blanche, que les spectateurs ont découvert en 2007 sur la scène du Jamel Comedy Club, repose sur cette façon de nous confronter à la crudité du monde, sa laideur, sa monstruosité, sa bêtise en somme pour nous apprendre à nous en protéger par le rire. Pas étonnant, alors, qu’elle ait fait appel pour coécrire Problemos à Noé Debré, le scénariste des très noirs Dheepan de Jacques Audiard et Les Cowboys de Thomas Bidegain. Dans ce film, réalisé par Éric Judor, une histoire d’épidémie mortelle fait d’un groupe d’altermondialistes les derniers survivants de la Terre. Armés de leurs grands principes et d’un nouvel idéal aux antipodes de la société de consommation, ces nouveaux aventuriers écolos vont vite déraper vers le pire. Très noir, mais très drôle.
HUMOUR MONSTRE
Quand Blanche évoque les origines de Problemos, on cause soudain anthropologie, politique, Nuit debout, ZAD, état d’urgence, autant de concepts et d’éléments en apparence très éloignés de la comédie à la française. On lui parle de Calmos de Bertrand Blier (1976) et de toute la vague de comédies anars des années 1970 auxquelles le ton léger et mordant du film fait penser, elle répond « Podemos », du nom du mouvement contestataire espagnol fondé en 2014. « Il y a, dans les groupes révolutionnaires, quelque chose qui me fascine. Irrémédiablement, les grands idéaux sont contaminés par l’ego, le goût des hiérarchies, et tout s’effondre. J’ai suffisamment milité et fréquenté le milieu associatif dans ma jeunesse pour être capable d’en rire aujourd’hui avec Problemos. Y a un truc qui ne tourne pas rond chez l’homme, même quand il a les meilleures intentions du monde. » Pessimiste, Blanche Gardin ? Engagée plutôt. Si elle avoue avec malice ne pas prétendre avoir « la solution », elle revendique un droit à l’humour monstrueux, un goût de la satire et de l’outrance, bien plus réalistes selon elle pour faire bouger les choses que « l’hypocrisie des comédies françaises qui réconcilient tout le monde à coups d’embrassade. »
Tapant aussi bien sur la prétention et le confort bourgeois du Parisien sceptique bloqué dans cette communauté hippie (parfait Éric Judor) que sur les dérives sectaires et absurdes de ces nouveaux manitous du « mieux vivre », Problemos ne milite pourtant pour personne. Un bon vieux jeu de massacre acide et rigolo vaut mieux qu’une leçon de morale. Alors qu’elle juge, avec une pointe de dépit, son humour «trop cérébral», on la rassure sur l’efficacité comique de son jeu très physique, de sa diction syncopée et ses capacités burlesques, qui faisaient déjà des ravages dans la série WorkinGirls (Canal+) et qui explosent ici dans son interprétation de l’insupportable Gaya, apôtre dictatoriale et condescendante de ce nouveau mode de vie. À la voir s’emmitoufler dans un grand manteau rouge et nous regarder avec des yeux rieurs, on voit Blanche telle qu’elle est: une clown moderne, qui réussit à nous faire rire d’un monde qui ne tourne plus rond.
«Problemos» d’Éric Judor
StudioCanal (1 h 25)
Sortie le 10 mai