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Annie Maurette, attachée de presse : « J’ai un rapport très fort aux films qui ont trait aux cultures underground »
- Juliette Reitzer
- 2021-07-02
Compagne de route de nombreux artistes et cinéastes de la scène underground (Jonas Mekas, Marie Losier, Larry Clark, Jonathan Caouette, Maripol), Annie Maurette est aussi l’attachée de presse du fonds de dotation agnès b. Elle défend une vision politique du cinéma mettant en lumière les marges et la porosité avec les autres arts. En revisitant son propre parcours, elle nous raconte son goût pour l’anti-routine et la démocratisation des films.
Comment êtes-vous devenue attachée de presse ?
Le cinéma n’a pas été ma première destination. C’est arrivé après mon premier « vrai » travail dans une librairie, la Librairie Nouvelle à Lyon, qui était un lieu très engagé auprès du parti communiste, mais surtout qui recevait des autrices et auteurs comme Angela Davis (retrouvée plus tard avec le film Free Angela de Shona Lynch, sorti par Jour2Fête), Annie Ernaux, Marguerite Duras avec laquelle on allait boire des coups dans un bar QG des prostituées du quartier, ou Louis Aragon, masqué avant l’heure.
J’étais très proche aussi de la galerie L’Ollave, fondée par l’écrivain et photographe Jean de Breyne, et géré par un collectif d’artistes, c’était à la fois un endroit de monstration, un lieu littéraire, de performances, où se croisaient entre autres Orlan, en voisine, les artistes Lars Fredrikson, Joël Frémiot, Valère Novarina, ou Hermann Nitsch cofondateur du mouvement des actionnistes Viennois et ami de Jonas Mekas.
La scène culturelle lyonnaise était une sorte de triangle d’or (et des Bermudes parfois !) musique, théâtre, cinéma, ça bouillonnait, pour un couteau Suisse comme moi, ça a été un terrain idéal d’apprentissage. Le cinéma est venu à mon arrivée à Paris, via Frédéric Mitterrand qui m’avait confié les clés de l’Olympic Les Halles, un ancien porno, boulevard de Sébastopol, à l’image de celui que l'on voit dans Simone Barbès ou la vertu de Marie-Claude Treilhou. Ici j’ai dû attraper un virus en défendant les films de la nouvelle programmation auprès des vieux habitués, qui avaient zappé le changement de propriétaire. Je me souviens des projections de Salò de Pasolini dont ils sortaient furieux criant à l’arnaque.
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Lire notre articleQu’est-ce qui vous meut, vous donne envie de faire ce métier ?
Mon rapport au cinéma est d'abord politique et social, et c’est là que je situe mon activité, véhiculer le travail d’un ou d’une réalisatrice, d’une équipe. Le cinéma on le sait est une histoire collective, de l’écriture à la distribution, et le moment de la diffusion est primordial. C’est là que mon travail intervient. Ce qui m’anime, c’est la curiosité, le rythme, on passe deux et trois mois dans une relation quasi fusionnelle et puis on se quitte. Passer d’une œuvre, d’une équipe à l’autre, c’est l’anti-routine, rien n’est jamais acquis. Chacune de mes expériences avec un film enrichit mon regard et m'inscrit dans un monde en mouvement perpétuel.
Si vous deviez le décrire en quelques mots, le résumer : à quoi tient votre engagement ?
J’ai eu le plaisir de rencontrer très jeune quelqu'un comme Maurice Béjart, pour qui la diffusion et la démocratisation des œuvres était un élément central. C'est ce que j’essaie de développer par mon travail auprès des cinéastes et des producteurs et distributeurs, c’est de rendre accessibles des films exigeants. J’ai un rapport très fort aux films qui ont trait aux cultures underground, aux marges politiques, sociales, sexuelles qui construisent la force de notre société.
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Lire l'interviewQuelles sont pour vous les trois valeurs primordiales, celles qui vous guident ? D’où viennent ces valeurs ?
Surtout ne pas se prendre au sérieux, rester libre, et droite. C’est un héritage familial et qui n’est pas prêt de se perdre ! Ma grand-mère disait : « Tête haute, menton en l’air. » Elle disait aussi : « Même la reine d’Angleterre va sur le trône », ça calme.
Des films dont vous avez assuré la promotion et dont vous êtes particulièrement fière ?
Fière ? Je pourrais être fière si j’en étais la réalisatrice. Je suis vraiment contente si j’ai pu contribuer à leur reconnaissance. Et si on a du plaisir à se revoir après, c'est encore mieux. C’est compliqué de lister, de catégoriser les films. En revanche je suis très fière de mon engagement depuis plusieurs années auprès de la Queer Palm, et de ma collaboration avec son fondateur Franck Finance Madureira, qui accomplit un travail très important dans une économie drastique - d’ailleurs la Queer Palm fête cette année ses 10 ans au festival de Cannes, et c’est Nicolas Maury qui nous fait l’honneur de présider cette édition. Avant la Queer Palm j’ai travaillé sur les premiers festivals LGBT auprès de Florence Fradelizi et David Diblio. Rendre visibles à travers le cinéma des luttes essentielles à l'évolution des pensées de notre société est pour moi fondamental. Et pour ça, la fonction d’attaché.e de presse est pile le bon endroit.
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Lire notre interviewDes collaborations qui vous ont particulièrement marquée ?
Pratiquement toutes, mais Jonas Mekas occupe une place particulière. Je l'ai accompagné lors de son dernier séjour parisien en 2017, pour présenter A Dance with Fred Astair. On faisait les interviews à l’hôtel La Louisiane et on allait voir la Seine en crue, des merveilleux moments. Il faut absolument voir ses films, trop vite rangés dans la case « expérimentale » alors que lui-même se revendiquait comme un « film maker », et lire ses textes, notamment I’have no where to go, récit autobiographique.
J’ai rencontré Jonas Mekas grâce à agnès b., - dont j’ai eu la chance d’ accompagner le premier long métrage, je m’appelle hmmm… Avec Agnès, ce sont de multiples rencontres, l’aventure de la découverte est toujours au coin de la rue, que ce soit via son travail de collectionneuse, de styliste et de protectrice des arts et du cinéma. Une des dernières expositions à sa Galerie du Jour s’appelait Quelques cinéastes et photographes indépendants américains représentés par la galerie du jour agnès b. On y retrouvait notamment Jonas Mekas, Dash Snow, Harmony Korine... Bien que le cinéma soit le cœur de mon activité, ce qui m'intéresse c'est la porosité qu'il peut avoir avec d'autres formes artistiques.
Mots croisés : Jonas Mekas et José Luis Guerín
Lire l'articleComment la crise que vient de traverser le cinéma vous fait-elle reconsidérer votre métier, votre rôle, vos valeurs ?
La culture circule toujours, mais c’est devenu plus compliqué pour les créateurs et celles et ceux qui font un travail invisible du grand public. Je pense aussi aux arts plastiques et aux artistes déjà tellement maltraités et encore plus durant cette période noire. Ce qui ressort aussi de ces mois, c’est le besoin de renforcer le maillage avec le public, de retrouver l’intimité collective de la salle de cinéma, de concerts, des clubs. Et après ces mois bizarres, contente de retrouver mon activité et mes partenaires de crime avec force et plaisir.