Le titre anglais du film All of Us Strangers (« étrangers tous autant que nous sommes », en français) est très beau : il porte l’idée de solitude, de la rencontre, des fantômes. Comment l’interprétez-vous ?
Je l’adore. Justement, j’aime le fait qu’il permette une multitude d’interprétations. Il a quelque chose qui m’émeut : le fait qu’il y ait le mot « nous » dedans, ce côté inclusif. Pour moi, ce titre dit qu’on peut seulement se rencontrer, se connaître, si on a le courage de s’aimer les uns les autres. Si vous ne faites pas cet effort, tout le monde peut vous paraître étranger, vos enfants, vos parents, les personnes les plus proches de vous. Vous pouvez louper les gens si vous ne les laissez pas entrer.
Concernant le personnage d’Adam, vous faites le portrait très sensible d’un homme gay qui a été enfant dans les années 1980. Vous qui êtes à peu près de la même génération qu’Andrew Haigh, avez-vous discuté ensemble de la façon dont vous avez grandi ?
Oh oui, beaucoup. Vous savez, c’était une période très différente, difficile pour grandir. Mon parcours n’est pas celui de mon personnage, mais il y a tellement de choses auxquelles j’ai pu m’identifier… Une partie de mon travail a consisté à retourner dans cet endroit de l’enfance où je me sentais vulnérable, honteux, confus, craintif. L’autre moitié, c’était plus d’embrasser mon côté adulte, ce qu’on vit lorsqu’on tombe amoureux.
Votre personnage a grandi avec le deuil et n’a jamais pu faire son coming out à ses parents. Comment cela l’a affecté, selon vous ?
Je pense que ça a comme freiné son développement, il est dans une sorte de purgatoire. Presque trente ans après leur mort, il y a une partie de lui à laquelle il n’a jamais pu accéder, parce qu’il n’a pas pu être vu pleinement par les gens qui lui manquent le plus au monde. Je pense que c’est pour ça qu’il les invoque, pour leur dire qui il est. Même si c’est douloureux, plein de ressentiments, pour moi, cet acte est courageux. Cela lui permet de laisser quelqu’un d’autre entrer dans sa vie, de nourrir une forme d’espérance. Une fois que vous vous êtes accepté, vous pouvez aimer les autres.
Comme Adam, y a-t-il des souvenirs que vous n’arrivez pas à laisser partir ?
Bien sûr. Adam dit qu’il ne faut pas grand-chose pour revenir en enfance, retourner à ce que l’on ressentait. En tant qu’acteur, je dois garder cette part d’enfance vivante, être aussi joueur que possible. Je garde ces souvenirs, ces sensations à portée de main parce que je n’ai jamais suivi de formation formelle en tant qu’acteur [il a commencé sa carrière à 6 ans, dans une pub pour une marque de porridge, ndlr].
J’ai beaucoup appris en faisant du théâtre [il a reçu le Laurence Olivier Award du meilleur acteur en 2020 pour la pièce Present Laughter, ndlr] et en gardant la mémoire de l’enfant que j’étais.
Est-ce que vous aviez vu le long métrage Week-end (2012), l’un des premiers films très intimistes d’Andrew Haigh sur la rencontre fulgurante entre deux hommes ? D’après vous, est-ce que l’on peut comparer les deux films, sur l’idée de l’intensité amoureuse ?
Oui. Andrew a vraiment du talent pour comprendre ce qui joue dans cette connexion entre deux êtres, la façon parfois bizarre dont l’amour se manifeste. La raison pour laquelle les gens aiment ces deux films, pour moi, c’est qu’ils se reconnaissent. Ils se disent : « Oh mon dieu, j’ai déjà ressenti ça. » Andrew arrive à créer ce sentiment avec les scènes de sexe, les scènes romantiques. Il est très conscient de ce que sont les gens. Et il est doué pour les castings : il sait quels interprètes auront l’énergie pour donner vie à sa vision.
Dans un sketch pour une association caritative, vous avez incarné un prêtre auprès de qui le personnage joué par Paul Mescal dans Normal People venait se confesser. Sans jamais nous connaître était-il une manière de prolonger ce dialogue très intime entre vous ?
Paul jouait dans Normal People, moi dans Fleabag, et on a fait cette sorte de petit sketch [lors d’un téléthon irlandais qui a eu lieu en 2020, durant la pandémie de Covid-19, ndlr] pour réunir nos deux personnages. On n’avait pas vraiment travaillé ensemble avant cela, mais on se connaissait un peu. Ça a vraiment joué pour créer cette électricité qu’il y a entre nous à l’écran.
Dans pas mal d’interviews, Paul Mescal vous désigne comme un mentor, une inspiration. Comment vous vous sentez par rapport à ça ?
Oh, eh bien, je ne suis pas sûr que je puisse être un mentor. Lui-même m’a tellement inspiré… C’est un acteur avec une âme extraordinaire, qui travaille dur. Il est l’une des relations professionnelles les plus importantes que j’aie eues. Sur le tournage, on a été sensibles à ce dont l’autre avait besoin. Je pense que notre alchimie à l’écran est liée à cette écoute entre nous. C’est comme si on était hyper conscients l’un de l’autre, pas juste centrés sur nous-mêmes comme des robots. Vous savez, c’est chimique. Je pense que c’est ça qui fait le bon jeu d’acteur.
Dans les différentes productions Fleabag, Jimmy’s Hall ou Angels in America, vous jouez des personnages avec une connexion spirituelle. Pourquoi les cinéastes voient ça en vous ?
Oui, c’est étrange, j’ai joué beaucoup de personnages qui se débattent avec la foi. J’ai été élevé dans une Irlande très catholique, donc ça m’intéresse beaucoup. Je ne suis plus vraiment porté sur la religion, mais ça m’obsède quand même. J’aime l’idée que la seule chose qui vous accompagne tout au long de la vie jusqu’à votre mort, c’est votre souffle, votre respiration.