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Andranic Manet : « J’ai un côté terrien, sans doute décalé mais rationnel et discipliné » 

  • Augustin Pietron
  • 2024-07-05

[PORTRAIT] Andranic Manet, 27 ans et une dégaine que l’on a toujours aimé apercevoir dans le cinéma indépendant français, se retrouve cet été à l’affiche de « La Récréation de juillet » (en salles le 10 juillet, et dans lequel il a rôle de premier plan) et du « Roman de Jim » (en salles le 14 août). On a rencontré ce jeune homme exquis qui se révèle au moins aussi poète que ce que ses truculents personnages laissent imaginer.

On lui demande à quel point ses cheveux comptent pour lui ; il fait l’étonné. Andranic Manet les porte plutôt longs — souvent en désordre — dans la plupart des films où il joue… Le comédien esquisse un sourire, réfléchit un instant et formule une pirouette habile : « Je les laisse pousser, je les entretiens, au cas où. Mais je n’hésiterai jamais à les couper à la bonne longueur pour un rôle. J’aime travailler le corps avant le jeu quand je construis mes personnages, et la façon dont on est coiffé ou la longueur des cheveux dans un plan rapproché… racontent toujours un peu plus. » Il pointe une exception, quand même : « Dans le film de Katell [Quillévéré, réalisatrice de Réparer les vivants, ndlr.], je les avais très courts pour ce personnage de surfeur… Rasés, seulement quelques millimètres ! » C’était en 2016, un rôle bref dans la scène d’ouverture, mais déjà un visage et une paire d’yeux bleus-acier marquants. 

À 27 ans, Andranic Manet collectionne ce genre de passages dans le cinéma français. Cet été, il en aligne deux. Un premier rôle dans La Récréation de juillet (en salles le 10 juillet), où il incarne Gaspard, un jeune prof qui invite ses amis à camper dans leur ancien collège en hommage à sa sœur disparue. Ensuite, une apparition tardive mais essentielle dans Le Roman de Jim des frères Larrieu (le 14 août). Au-delà d’une « certaine filiation capillaire » entre les rôles de l’acteur, il y a sans doute, à force, un personnage Andranic. « On me demande d’incarner ces jeunes gens un peu rêveurs, en marge, je dirais ‘‘punks’’ même si je ne sais pas si le mot est juste. L’esprit aérien, flottant et surtout, pas du tout la tête de quelqu’un qui travaille dans un bureau, évalue-t-il. Mais attention, je ne crois pas être tout à fait comme ça dans la vie. J’ai un côté terrien, sans doute décalé mais rationnel et discipliné.» 

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Terre-à-terre mais rêveur, il a toujours voulu jouer. « Depuis les parties de gendarmes et voleurs dans la cour de l’école jusqu’au foot et à la déconne. Mais j’étais aussi le gosse qui s’arrêtait pendant la course d’orientation pour guetter des visages connus dans la forme des nuages ». Après son bac, il passe le concours de la classe libre du Cours Florent. Là, le comédien dit avoir « fait confiance à l’intérêt de certains enseignants ; je les ai crus et il me semble qu’en fait, c’est un peu le métier qui m’a choisi. On est nombreux dans ces promotions et j’ai senti que mon corps pouvait intéresser comme matière première. » Le natif de Cergy poursuit sa formation théâtrale au Conservatoire de Paris. 

L’ACTEUR COMME UNE GUITARE

Premier premier rôle au cinéma à 20 ans : Andranic Manet incarne l’alter ego à l’écran de Jean-Paul Civeyrac dans Mes Provinciales. Son personnage d’étudiant lyonnais monté à Paris pour étudier le cinéma, débattre avec ses camarades (et en séduire certaines) y est de tous les plans ou presque. « Un délire, quand je le regarde avec le recul », sourit le jeune homme. C’était tôt dans sa carrière, une chance et un défi. « Un rôle très autobiographique, très précis. J’avais envie de jouer et c’était en fait presque un travail de retenue : j’ai appris à faire confiance à l’objectif sur ce tournage. » Voilà sa définition du jeu : « Devenir une guitare qui saura résonner différemment si on lui demande du baroque ou une valse. » Belle analogie par celui qui écrivait ses textes pour des battles de rap au lycée et a incarné le légendaire Dee Nasty, DJ phare du hip hop français dans Le Monde de demain, la série sur les origines du groupe NTM. Il est encore prof de musique dans La Récréation de juillet où il dégaine piano et guitare à l’envi. Entre deux peintres, il ne manquera jamais de citer des compositeurs classiques qui l’inspirent. 

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Que fait-il, d’ailleurs quand il ne joue pas ? « Quand tu sors de Disneyland, tu veux dire ? C’est hyper important de retrouver la vie normale. Je m’inspire des autres arts. » Il « écri[t] pas mal », travaille ses scénarios de courts métrages notamment, et « li[t] un maximum » — au début de cet entretien, il était plongé dans un poche de l’écrivaine russe Lioudmila Oulitskaïa. Andranic Manet reste intarissable sur les artistes de ce pays dont sa famille est originaire. Même en ayant grandi dans le Val d’Oise, il parle la langue. « L’âme slave, c’est quelque chose quand même. Elle est tourmentée, mais ‘‘les peuples malheureux font les grands artistes’’ : c’est la formule de Lorenzo dans Lorenzaccio. C’est chargé, mais passionnant, de Tolstoï et Tourgueniev aux poèmes de Marina Tsvetaïeva. Le cinéma aussi, les années 1960-1990, toutes ces œuvres nées dans des conditions de création pas possible ou celles des artistes un peu trop proches du pouvoir. »

Andranic Manet scrute le jeu de ces acteurs russes qui évoluaient entre cinéma, télévision et théâtre et raconte être fasciné par Shelley Duval dans Shining ou Jean-Roger Milo dans le Germinal de Claude Berri : « Robustesse dans la sensibilité, naturel et ambivalent : le contrepoint parfait, comme du Bach. J’essaie de m’interroger sur ce qu’il se passe dans la tête de chaque acteur au moment du tournage. »  

Tout cela ressemble encore un peu à du travail, ou au moins à un entraînement. Alors on repose la question :  que fait Andranic pour se détendre ? « Ah oui, pardon. Le foot ! Je regarde le foot, assidûment. Le sport, c’est super rassurant parce que contrairement à l’art, c’est toujours concret : on obtient chaque performance des statistiques mesurables. Un attaquant continue de jouer parce qu’il est bon… Et c’est quand même un peu plus universel que l’art ou le talent artistique. Comme l’écrivait Zola à Cézanne, la différence entre une croûte et un chef d’œuvre, ce n’est rien d’autre que le goût. »

Le comédien dit aussi aimer voyager, regarder les bâtiments (« C’est quand même fou que les humains puissent construire quelque chose de beau pour y habiter ! Les animaux se font un terrier, pas plus. ») Pas comme ses personnages, non, mais toujours poète. Pour chaque rôle, Andranic Manet tient à « toujours se rappeler que c’est complètement faux ». « Je repense souvent à Patrick Dewaere avant son suicide, quand l’acteur allait très mal et qu’on lui confiant des rôles de types qui allaient encore plus mal. Dewaere disait : ‘‘tu prends le pli du rôle donc tu rentres chez toi, t’es pas drôle’’.» Non, pour Andranic Manet, « on cloisonne, on garde la douceur, la texture du rôle uniquement ». Encore une formule de rêveur, tiens. 

La Récréation de juillet de Pablo Cotten et Joseph Rozé (Wayna Pitch, 1h20), sortie le 10 juillet

Le Roman de Jim des frères Larrieu (Pyramide Distribution, 1h41), sortie le 14 août

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