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Anaïs Demoustier : « Dans la vie, il y a des amours de convention, et des vrais amours »
- Quentin Grosset
- 2021-07-20
Anaïs Demoustier révèle sa part la plus burlesque dans le vif, littéraire et malicieux "Les Amours d’Anaïs" de Charline Bourgeois-Tacquet, présenté à la Semaine de la Critique à Cannes, et en salles le 15 septembre. La comédienne y incarne une étudiante en lettres risque-tout qui se laisse porter par son désir entre un éditeur (Denis Podalydès) et son épouse écrivaine (Valéria Bruni-Tedeschi). Devenue une figure-clé d’un certain cinéma français qui explore les sentiments, Demoustier nous parle avec aplomb de ses autres amours : la comédie, la littérature et les jeunes auteurs.
Le film a pour titre Les Amours d’Anaïs. Dans quelle mesure pourrait-il être un portrait de vous ?
Il y a toujours une communication un peu mystérieuse entre nous et les rôles qu’on joue. La frontière est un peu floue. D’autant que j’avais déjà fait un court-métrage avec Charline, Pauline asservie. Elle connaissait peut-être des choses de moi qu’elle a mises dans le scénario. Mais disons que c’est surtout une question d’énergie. Moi je suis quelqu’un de rapide, qui parle beaucoup et vite, et Charline a vraiment poussé ma vitesse.
Finalement, je n’avais pas joué de personnage aussi tonique avant, d’habitude les cinéastes me demandent plutôt de ralentir. Après, je suis en phase avec les questionnements du personnage, comme une jeune femme de 30 ans qui s’interroge sur le désir, le couple. J’ai aussi comme elle un petit côté idéaliste, j’ai envie que la vie apporte de grandes choses, j’ai la même soif d’absolu.
Ça vous a parfois troublée, le fait que le personnage s’appelle comme vous ?
Oui, à certains moments, notamment quand le personnage joué par Valeria Bruni-Tedeschi s’adresse à moi à la fin du film. Quand elle dit qu’il faut que je me serve de mes émotions, de mes élans, que je devrais en faire quelque chose. Moi j’aimerais bien en faire quelque chose, j’aimerais bien être créative à partir de ça aussi. Quand elle s’adressait à moi en m’appelant Anaïs, ça me touchait encore plus directement.
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Entre votre personnage et le couple qu’elle séduit, joué par Valeria-Bruni Tedeschi et Denis Podalydès, il y a une génération. Pour vous, ce sont deux visions du désir qui entrent en collision ?
D’un point de vue générationnel ? Non, car le personnage de Valeria est très moderne dans sa manière de vivre l’amour, de s’en détacher, dans son envie de liberté. Après, le film raconte assez bien comment, dans la vie, il y a des amours de convention, et des vrais amours. Au début du film, Anaïs est avec un mec, mais elle n’a pas l’air très amoureuse de lui. Puis après elle est la maitresse de cet homme marié joué par Denis, dans une sorte de cliché bourgeois. Et puis soudain elle est surprise par un véritable amour qui la déroute, qui la déstabilise vraiment profondément, qui la déplace. Il se trouve que c’est une femme. Mais ce n’est même pas un sujet dans le film.
Dans À trois on y va de Jérôme Bonnel, vous étiez déjà au centre d’un ménage à trois appréhendé de manière burlesque.
Ce qui est différent c’est que, dans le film de Jérôme Bonnel, mon personnage tombe amoureuse des deux membres d’un couple. Là, je me suis raconté que, avec le personnage joué par Denis Podalydès, c’est une histoire très secondaire pour elle. Alors qu’elle projette ce qu’elle aimerait devenir sur le personnage de Valeria. Ce que je trouve vraiment beau dans le film, c’est le fait que quand on aime quelqu’un, cette personne nous transmet des choses. Et le fait que ce soit une femme, ça débarrasse l’histoire d’amour de l’aspect paternaliste qu’elle aurait pu avoir.
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Antonin Peretjatko, Quentin Dupieux, Charline Bourgeois-Tacquet… Récemment, vos choix se portent vers des comédies pas calibrées, très personnelles. D’où vient cette inclination chez vous ?
Malgré moi, j’ai commencé avec des films assez graves, notamment Le Temps du loup de Michael Haneke en 2002, donc ça m’a lancée dans une direction de drames. Mais c’est vrai que j’avais envie de légèreté. Avec les auteurs que vous citez-là, il y a quand même beaucoup le plaisir du texte. Je me rends compte qu’avec la comédie, on joue vachement avec la langue, les mots. J’ai adoré le théâtre aussi pour ça, pour le texte.
Ces cinéastes se servent aussi beaucoup du corps avec une approche qui leur est propre : Dupieux, par exemple, à chaque fois j’ai des perruques absurdes, je devais avoir un accent pour Au poste… Chez Peretjatko, c’est très stylisé, les personnages doivent être très tenus, avec un gros travail sur le costume… L’acteur est aussi très en charge du rythme dans une comédie. C’est comme si j’étais davantage un moteur que dans les films dramatiques ou dans les rôles que j’ai eus précédemment, qui étaient plus sur la réserve. Je jouais l’écoute, ce que j’aime beaucoup aussi, car j’adore explorer les silences, leur variété.
Charline Bourgeois Tacquet a dit qu’elle vous a beaucoup dirigée sur des questions de vitesse et de chorégraphie. Comment ça s’est passé ?
Dans la mise en scène, Charline a des idées très précises avant même que l’on joue, ce qui peut être contraignant. Mais c’est ça qui est passionnant dans ce métier : on rentre dans la folie de quelqu’un, dans sa manière de faire. Je me suis dit qu’il fallait que je trouve ma liberté là-dedans et, finalement, j’ai trouvé beaucoup de plaisir dans la contrainte.
Je trouve ça assez passionnant comment le travail des acteurs doit s’accorder avec une mise en scène aussi cadrée. Car il faut quand même que ça respire, j’avais à cœur que le personnage soit aussi habité par des choses qui lui échappent, que ce ne soit pas que de la maîtrise. D’autant que ce qui est beau dans ce personnage, c’est qu’elle théorise beaucoup sur ce qui lui arrive. Et en même temps elle se laisse complètement déborder par des élans, son instinct, des choses plus animales ou viscérales qu’elle ne contrôle pas.
Au Poste de Quentin Dupieux (c) Diaphana Distribution
Dans Pauline Asservie, le précédent court de Charline Bourgeois-Tacquet, il y avait un livre qui guidait la narration, Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Ici, c’est Le Ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras qui est important. Ce livre vous a-t-il aidée pour composer votre personnage ?
Je ne l’ai pas lu ! J’adore Duras, j’en ai lu plein, mais pas celui-là. Après, je trouve très beau le rapport à la littérature dans le film. J’aime beaucoup comment il parle de l’intimité entre deux êtres qui aiment la même œuvre. Avec le personnage de Valeria, Anaïs entretient une vraie connivence intellectuelle, artistique. Quand elle lui dit que ce qu’elle lit d’elle c’est ce qu’elle aurait voulu écrire, ça m’est déjà arrivé, ça, avec la psychanalyste Anne Dufourmantelle. Elle écrit des livres, notamment un dont le titre est L’Éloge du risque, que je trouve magnifiques.
Quand je le lis, j’ai l’impression que ça n’est destiné qu’à moi. C’est le mystère des œuvres. Qu’est-ce qui fait qu’on se sent proche d’un metteur en scène quand on voit un film ? C’est qu’on se sent moins seul. A Cannes, j’ai vu le film de Samuel Theis par exemple, Petite nature (présenté à la Semaine de la Critique, nldr), et j’ai vraiment ressenti ça : c’est un regard posé sur un enfant qui me raconte mille autres choses sur mon propre rapport au monde. Qu’est-ce que c’est rassurant, qu’est-ce que c’est beau le cinéma quand c’est comme ça.
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Lire la critiqueVous avez-vous-mêmes incarné Duras dans Nouveau Roman, la pièce de Christophe Honoré. Quels souvenirs avez-vous de cette expérience ?
C’était génial ! C’était troublant parce qu’à la base je ne devais pas du tout jouer ça, je crois que je devais incarner Sagan. C’était marrant parce que Christophe Honoré a une manière de faire du théâtre qui est très spéciale, les acteurs participent vraiment à la création du spectacle. On avait travaillé à partir d’improvisations. Je me demandais comment j’allais jouer cette femme tellement exceptionnelle. J’avais trop d’admiration. Incarner une sorte de monstre sacré, ça me paraissait impossible. Et puis j’avais tout sauf l’âge de la jouer, puisqu’il s’agissait de Duras plutôt dans la deuxième partie de sa vie.
C’était intéressant puisque finalement ce n’était pas du tout un travail de rapprochements physiques, de composition, façon biopic. Ça concernait plutôt la pensée : il me demandait d’interroger son rapport au cinéma, de faire des impros par rapport à ça. Je me souviens que j’avais un casque sur les oreilles, et je devais juste répéter les paroles de Duras. Christophe ne voulait pas que j’apprenne le texte, et je trouvais ça hyper agréable d’être traversée par cette parole, et quelle parole, dans une pure position d’interprète. C’était étrange.
Les Amours d’Anaïs parle beaucoup de littérature. C’est une inspiration importante dans votre travail d’actrice ?
Moi je lis beaucoup. Mais pas du tout autant que je le voudrais. Je manque de temps pour lire et c’est horrible, j’ai l’impression d’avoir des lacunes folles. Du coup je lis des choses courtes. Récemment j’ai lu une nouvelle de Balzac qui m’a totalement bouleversée. Son titre, c’est Adieu. Ça raconte une histoire d’amour pendant une guerre. Il y a un accident, et il y a une séparation.
Puis l’homme retrouve cette femme, quasiment revenue à l’état sauvage. On comprend qu’elle a perdu la boule de l’avoir quitté et pourtant elle ne le reconnaît pas. Alors il lui rejoue la scène de la séparation. Et le fait de revivre ça, c’est comme une révélation. C’est écrit en italique dans le texte : et tout à coup, elle le vit. On pourrait en faire un film…
Vous avez suivi des études de lettres modernes et cinéma à Paris 3. Ça vous est donc resté.
Oui, mais j’ai été très vite happée par le cinéma. Je pense que s’il n’y avait pas eu ça, j’aurais fait hypokhâgne, une prépa littéraire. C’est sûr que j’adore ça, j’adore le texte. J’essaye du coup, dans mon travail, de sélectionner des auteurs. Et, franchement, entre Charline Bourgeois Tacquet, Quentin Dupieux ou Nicolas Pariser, j’en rencontre !
Les Amours d’Anaïs est un premier long métrage. Vous avez à cœur de révéler des auteurs en jouant dans leur film ?
Oui, j’ai toujours fait des premiers films et j’adore ça. C’est toujours un geste, une énergie spéciale, il y a une fébrilité, une nécessité, une urgence. Maintenant, je peux accompagner les jeunes cinéastes, les aider à prendre confiance. Parfois, on me dit que, vu là où j’en suis, je ne devrais plus faire de premiers films, ni de courts métrages. Alors que j’adore ça, au contraire. Envoyez-moi des scénarios !
Les Amours d’Anaïs de Charline Bourgeois-Tacquet, Haut et Court (1h38), sortie le 15 septembre