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A voir sur Arte: un superbe documentaire sur l’art tourmenté de Visconti
- Léa André-Sarreau
- 2019-12-11
Aristorévolutionnaire, auteur de tragédies austères comme de fresques démesurées: Luchino Visconti était un réalisateur complexe, la preuve avec ce documentaire Luchino Visconti – Entre vérité et passion.
« Je préfère raconter les défaites, décrire les âmes solitaires, les destins brisés par la réalité »: hanté par la mort, travaillé par l’échec des rêves et l’impuissance politique, le cinéma de Luchino Visconti est aussi sombre dans ses thèmes que splendide dans sa forme. Pour mieux comprendre de quoi est faite cette tension, un documentaire d’Elisabeth Kapnist et Christian Dumais-Lvowski, disponible sur Arte jusqu’au 22 décembre, revient sur ce cinéaste tiraillé entre passion et raison, dandy autant fasciné par les ruines et le chaos social que par la beauté plastique.
Issu de la noblesse italienne, vivant au milieu d’oeuvres d’art dans une villa splendide, Visconti fréquente aussi le Parti communiste italien, obsédé par la justice social. Un statut d’aristocrate révolutionnaire complexe qui se traduit dans sa filmo : si Rocco et ses frères emprunte au néo-réalisme et décrit avec âpreté les bouleversements de l’après-guerre, Le Guépard est au contraire traversé par la démesure, fresque décadente sur l’unification italienne. Habilement, le documentaire entrelace images d’archive et entretiens avec des intervenants (Olivier Assayas, la biographe Laurence Schifano) pour saisir la personnalité trouble de ce directeur d’acteur perfectionniste qui révéla souvent la mélancolie invisible de ses acteurs : Alain Delon, Burt Lancaster, Helmut Berger…
On y révise aussi les grandes obsessions de son cinéma et ses amours littéraires. Avec Marcel Proust, dont il admire l’oeuvre, il partage un goût pour la beauté du temps qui passe, la coexistence entre le raffinement des passions et la dégradation des êtres. De Thomas Mann, dont il adapte Mort à Venise en 1971, il a retenu les grands questionnements sur l’art qui rend la vie plus intense, et de Dostoïevski, une faculté à disséquer le vice humain et l’abjection de son époque –Les Damnés, Violence et Passion…Enfin, juste pour revoir ces longs plan-séquences qui dilatent le temps dans Le Guépard, les zooms saisissants de Mort à Venise qui pétrifient le héros dans son désir et la lumière baroque de Senso, il faut regarder ce documentaire.
Image: Copyright Pathé