La vie est belle à Gioia Tauro, ville portuaire située en Calabre. Les fêtes, les repas et les traditions rythment le quotidien des familles, qui ne laissent transparaître aucun malaise. À 15 ans, Chiara, qui grandissait jusqu’ici paisiblement aux côtés de son père, de sa mère et de ses deux sœurs, devine pourtant que quelque chose se trame. Ce sentiment se confirme quand, du jour au lendemain, son père disparaît…
Après Mediterranea (2015) et A Ciambra (2017), Jonas Carpignano poursuit sa chronique de la ville calabraise et tente de percer à jour ce qui s’y joue, à l’échelle intime comme politique. Ici, il s’intéresse au milieu mafieux, dans lequel s’est engouffré le patriarche. L’une des grandes forces de ce nouvel opus réside dans le fait qu’il parvient à distiller par petites touches les ingrédients qui feront sauter le verrou des illusions, par le truchement de cette jeune ado qui voyait en son père un être irréprochable, et qui va vite être confrontée à un dilemme : sauver sa peau et fuir, ou rester et plonger au nom du père ?
Autre réussite du film : il documente comme aucun autre le programme judiciaire d’extraction des mineurs appartenant à des familles criminelles, pour les placer dans d’autres familles. En embarquant sa caméra dans le sillage de cette jeune héroïne qu’on juge d’abord gâtée par la vie, en magnifiant les séquences nocturnes – il y a du Scorsese dans les lumières rouges qui composent certains plans, ce qui n’est pas étonnant étant donné que le cinéaste américain est producteur délégué –, c’est comme si Carpignano nous infiltrait dans l’esprit noirci de la jeune fille.
En contrepoint, le réalisateur n’oublie pas de filmer aussi quelques instants de grâce lumineuse qui sortent Chiara de sa cellule familiale pour l’ouvrir à un plus bel avenir. Fin et fluide, ce sombre coming-of-age a de quoi marquer les esprits.
TROIS QUESTIONS À JONAS CARPIGNANO
Tous vos films se déroulent en Calabre. Pourquoi ?
Je suis né à New York en 1984. Quand je suis venu vivre en Italie il y a une quinzaine d’années, je me suis installé à Rome, puis j’ai choisi de tourner en Calabre mon premier film, Mediterranea, sur les émeutes raciales de Rosarno en 2010. J’en suis venu à emménager définitivement en Calabre. J’ai fini par être fasciné par ce lieu et je compte bien rester pour le dépeindre le plus justement possible.
Vous captez les goûts des jeunes d’aujourd’hui – on pense à la scène où Chiara danse sur du Aya Nakamura.
C’était fondamental que le public se sente aligné sur ce que vit Chiara. Pour y parvenir, il faut connaître l’univers culturel dans lequel la jeunesse baigne. C’est aussi une manière de relier Chiara à sa génération, d’offrir une description moderne et juste de ce qu’est la vie pour eux.
Comment avez-vous pensé l’esthétique du film, pour être en immersion avec l’héroïne ?
Mon chef opérateur Tim Curtin et moi, on voulait coller à l’état d’esprit des personnages. Par exemple, dans la scène qui se passe dans le bunker, des couleurs chaudes apparaissent sur le visage de Chiara. Même si elle a peur, comme elle est aux côtés de son père, elle se sent en sécurité, comme dans un nid.
A Chiara de Jonas Carpignano, Haut et Court (2 h 01), sortie le 13 avril.
Image: © Haut et Court