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6 films méconnus de Chantal Akerman à découvrir
- Troiscouleurs
- 2024-09-26
[RESSORTIES] C’est l’événement cinéphile de la rentrée 2024 : parallèlement à une grand expo organisée au Jeu de Paume, seize films de l’immense cinéaste belge ressortent en deux temps, grâce à une superbe rétrospective de Capricci. Vous connaissez sûrement son chef d'œuvre « Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles ». Alors pour ne pas ressasser les classiques, on vous conseille six films moins célèbres de la brillante réalisatrice.
TOUTE UNE NUIT (1982)
Durant toute une nuit, des couples se rencontrent, s’embrassent, se disputent, se regardent et se quittent. Que ce soit au café, dans de bruyants escaliers, dans la rue ou dans la chambre à coucher, on assiste de prêts à ces parades nuptiales mélancoliques, fuite en avant dans laquelle, l’amour uni aussi bien qu’il détruit. Dans cet univers plongé dans la pénombre tout droit sorti d’un tableau d’Edward Hopper et rempli de noctambules prêts à s’aimer ou à en découdre, Chantal Akerman fait l’économie des dialogues pour laisser la place aux étreintes, cœur névralgique du film, qui dans tous ses détours condense l’essentiel et le tragique d’une histoire passionnée entre deux êtres. · ROMAIN NESME
SUD (1999)
Le monde de Chantal Akerman ne se réduit pas à l’exploration de l’intimité, du foyer domestique aliénant. En 1999, la cinéaste belge voyage au Texas, et en revient avec ce grand documentaire plastique et politique sur le passé esclavagiste des Etats-Unis. Elle y raconte le lynchage, survenu un an plus tôt, de James Byrd Jr., un musicien Noir, par trois suprématistes blancs. « Ce film n'est pas l'autopsie de ce meurtre, (…) mais plutôt comment celui-ci vient s'inscrire dans un paysage tant mental que physique » dira Akerman. En effet, Sud est une terrifiante expérience sensorielle, logée au cœur d’un dispositif formel clinique : une alternance de déclarations en plans fixes (dont le shérif de la ville de Jasper) et de travellings interminables sur la route, les maisons silencieuses, les champs de coton désertés. Ils deviennent les témoins et complices de ce crime atroce, que l’Amérique n’en finit pas de nier, de refouler. La caméra d’Akerman, obstinée, impudique, cherche l’aveu du pire au milieu de tout ce calme. Dans la filmographie de la cinéaste, traversée par la peur de l’autre qui conduit au pire, cette œuvre aussi belle que cruelle fait complètement sens. · LÉA ANDRÉ-SARREAU
HISTOIRES D’AMÉRIQUE – Food, Family and Philosophy (1989)
Que va chercher la réalisatrice belge à New York, ville de tous les possibles ? Des histoires qui la font renouer avec ses origines, s’imaginer aussi, peut-être, des vies qu’elle aurait pu avoir. Après une entrée en matière sublime, onirique et cryptique depuis un bateau – où l’on voit se dessiner de plus en plus nettement et dans un fascinant nuancier de bleus les buildings –, la cinéaste enregistre sur terre – toujours en plans fixes, toujours la nuit – une série de saynètes fictives, racontant des histoires de Polonais exilés aux Etats-Unis (un mariage forcé malheureux ; une famille nombreuse sans le sou ; des dialogues philosophico-absurdes, typiques de l'humour juif…). Montrée en mai dernier en ouverture de la Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes, cette mosaïque, portée par des acteurs non professionnels, s’inscrit dans la pure tradition orale juive. Habitée par le spectre de la Shoah (qui hante la cinéaste, dont la mère, elle-même d’origine polonaise, fut une rescapée d’Auschwitz), elle tend sans cesse vers un « rire qui prend source dans la détresse même » (dixit la cinéaste). Son cinéma est probablement l’une des plus belles incarnations de ce profond paradoxe dont elle a hérité et qu'elle transforme toujours en précieux joyau. · JOSÉPHINE LEROY
D’EST (1993)
Deux ans après la chute de l’Union Soviétique, Chantal Akerman entreprend un grand voyage vers l’Est. À l’aide de fascinants plans fixes et long travellings, elle filme les corps et les paysages des pays de l’ex-bloc communiste alors en pleine mutation. Pologne, Russie, Ukraine - on ne sait plus très bien où l’on se trouve ni à quel moment. Entre la ville et la campagne, les personnages D’Est, pareil à Jeanne Dielman, s'enracinent dans un quotidien silencieux, voire apathique, où le moindre regard devient un événement catalyseur de la complexité des émotions humaines. Une élégante porte ouverte sur un monde rempli de neige et de chapkas, de solitude et de nuits interminables, comme un long poème aussi froid que mystérieux. · R.N.
LA CAPTIVE (2000)
Un featuring Proust/Akerman? Sur le papier, la rencontre dénote. Pourtant, en s’emparant de La Prisonnière, cinquième volet de La Recherche du temps perdu, Akerman réussit l’impossible : fondre la prose débordante de Proust dans son propre cinéma. La Captive raconte la jalousie de Simon (alter ego fictif de Proust dans le roman) pour sa fiancée Ariane (Sylvie Testud).Plus il s’enfonce dans son insensé quête de possessivité, plus l’indépendance d’Ariane se referme sur lui comme un piège. Car chez Akerman, la « captive » n’est pas celle que l’on croit. Ariane a beau être filmée comme une Belle au bois dormant des temps modernes, le vrai prisonnier, c’est Simon. Pour filmer son désenchantement, Akerman tire vers une atmosphère de transe : une chambre dans la pénombre, des draps défaits comme la sensualité qui s’étiole. La jalousie est un poison indolore, nous dit Akerman. Elle prend la forme de plans composés tels des tableaux funéraires, de scènes de sexe désincarnées filmées en plan fixe. Il faut absolument revoir La Captive pour cette Akerman’s touch. · L.A-S.
LETTERS HOME (1986)
La pièce de théâtre de Françoise Merle qui met en scène la correspondance de l’écrivaine américaine Sylvia Plath inspire à Chantal Akerman une captation vidéo novatrice du spectacle avec son actrice fétiche Delphine Seyrig et sa nièce, Coralie Seyrig. Dans un flot ininterrompu de paroles à la tradition très durassienne, qui consiste à filmer le récit de l’action plutôt que l’action elle-même, Akerman dresse les portraits croisés d’une mère et sa fille, poétesse à la vie mouvementée qui finira par se donner la mort. Cette hybridation entre théâtre, cinéma et littérature sort des sentiers battus et du silence omniprésent dans l'œuvre de la réalisatrice belge, en révélant la puissance de jeu déchirante de deux actrices hors normes. · R.N.
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