5 livres cinéphiles à lire en octobre

Parmi les joies de la rentrée, il y a celle de voir les tables des librairies se garnir de livres appétissants. Pour cet automne, cinq suggestions de lectures cinéphiles pour voyager dans les coulisses du cinéma avec deux romans qui se passent dans le milieu du cinéma, une biographie dessinée de Fassbinder, et deux beaux livres sommes sur des cinéastes majeurs, Chantal Akerman et Apichatpong Weerasethakul.


Les Enchanteurs de James Ellroy

Après Extorsion (2014) et Panique générale (2022), on attendait le troisième tome du Quintette de Los Angeles de James Ellroy, auteur des cultes Le Dahlia noir et L.A. Confidential, tous deux adaptés au cinéma. Les Enchanteurs, city tour funèbre et poisseux de la cité des Anges conduit depuis le regard d’un mort, Freddy Otash, ne nous déçoit pas.  Enquêteur fouilleur de poubelles – type de personnage que le romancier affectionne et aime à nous faire mépriser –, Freddy voit tout. En particulier ce que cache la politique américaine des années 1960 – soit le mandat de John Fitzgerald Kennedy et ses liens avec la mafia –, à hauteur des tiroirs de sous-vêtements qu’il inspecte. A commencer par celui de Marilyn Monroe, qui vient tout juste de mourir. L’enquête sur la disparition d’une jeune actrice, comme toujours chez Ellroy, fait mine de lever le voile sur de grands secrets pour, en réalité, réveler la noirceur d’un monde impénétrable en plein déclin, fait d’illusions et de mensonges. 

: Les Enchanteurs, traduit de l’anglais par Sophie Aslanides et Séverine Weiss (éditions Rivages, 400 p., 26,00€).

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Coupez !  de Laure Desmazières

« Coupez ! » C’est l’injonction qu’a reçue Manon, jeune scénariste. Le film qu’elle a écrit fait face à une baisse de budget drastique et sur ses épaules repose la lourde tâche de restructurer le film en plein tournage. Laure Desmazières, elle-même scénariste et réalisatrice (Le Voyage à Santarem, 2021), fait de son personnage le point de rencontre entre tous les métiers qui participent à l’élaboration d’un film. Au carrefour du producteur, de la star et du machino, elle nous offre une visite guidée et méta de ce tournage empêché, dans un récit cousin de La Nuit américaine de Truffaut. Avec intelligence, Coupez ! construit une habile mise en abyme sur un jeu d’écho entre le scénario ramené à une nuit en huis clos et sa réécriture par Manon qui revisite son propre passé.

: Coupez ! (Quidam éditeur, 182 p., 18€)

Fassbinder, l’homme qui voulait qu’on l’aime de Noël Simsolo et Stefano Oriano

 

Comment raconter du brillant réalisateur allemand, auteur du sublime Les Larmes amères de Petra von Kant (1972), réputé pour sa boulimie cinéphile et disparu à l’âge précoce de 37 ans ? C’est ce que s’attachent à faire le critique Noël Simsolo (auteur de monographies sur Fritz Lang et Alfred Hitchcock) et l’illustrateur Stefano D’Oriano dans Fassbinder, l’homme qui voulait qu’on l’aime, BD au dessin réaliste qui prend le parti de retracer toute la vie du cinéaste depuis son enfance munichoise sans père comme une constante recherche de rencontres artistiques et amoureuses.

Sans pause, Fassbinder cavale d’une histoire à la suivante, d’un projet de film à une mise en scène au théâtre.  Dans une rage de reconnaissance individuelle autant que d’expériences collectives, le cinéaste mélange la vie et la création, s’acharne à proposer des rôles à ceux qu’il rencontre. L’illustrateur Stefano D’Oriano dessine les scènes intimes sur les plateaux des films du cinéaste, donnant ainsi à son protagoniste le premier rôle de la grande mise en scène qu’a été sa vie.

: Fassbinder, l(éditions Glénat, 224 p., 26€)

ARCHIVE : quand Rainer Werner Fassbinder tente d’expliquer sa boulimie des tournages

Chantal Akerman, œuvre écrite et parlée 1968-2015 de Cyril Beghin

Ressorties de films restaurés dans une grande rétrospective organisée par Capricci, exposition au Jeu de Paume… C’est l’année Akerman, et on ne peut que s’en réjouir. Pour parfaire notre connaissance de l’ultime réalisatrice de l’intime (Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, 1976 ; Golden Eighties (1985)…) et tenter de dénouer certains de ses mystères, on peut aussi compter sur cette bible cinéphile, qui regroupe les écrits de la cinéaste disparue en 2015 (lettres, discours, scénarios non tournés, pièce de théâtre, texte autobiographique…) ainsi qu’un beau texte théorique du critique Cyril Beghin, qui a dirigé le triple ouvrage de celle qui, plutôt que ranger ses livres dans une bibliothèque, préférait, après les avoir lus, les déposer à un arrêt de bus pour que quelqu’un d’autre s’en empare. 

: Chantal Akerman, oeuvre écrite et parlée 1968-2015 (éditions L’Arachnéen, 1584 p., 69€ les 3 volumes)

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Homes Apichatpong Weerasethakul, sous la direction d’Antoine Thirion et Matthieu Potte-Bonneville

Pour lire l’entretien fleuve réalisé par le critique Antoine Thirion et le philosophe Matthieu Potte-Bonneville (qui pilote aussi l’événement autour du cinéaste au Centre Pompidou cet automne), il faudrait diffuser la bande son pleine des bruits de la jungle thaïlandaise. On aurait ainsi une idée de l’expérience quasi mystique qu’ont vécue les deux co-directeurs de ce splendide ouvrage sur le cinéaste, qui a reçu la Palme d’or à Cannes en 2010 pour Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures.

Le livre comprend en plus de cette discussion rétrospective des essais de critiques et une très riche sélection de documents de travail du cinéaste et plasticien. On croise dans cet ouvrage, qui ressemble au cinéaste et à ses films, le fantôme d’une femme dans un hôtel, des maisons aimées, habitées autant que filmées, des réminiscences de rêves… Les dizaines de pages de documents, photos de tournage, storyboard, photos de ses nombreuses installations illuminent le livre qui aurait aussi pu prendre le nom d’un des ensembles de vidéos de Weerashtakul : « Fireworks ».

: Homes Apichatpong Weerasethakul (éditions de l’œil, 484 p., 50€)

Image de couverture : Les Enchanteurs de James Ellroy