« L’établi » de Mathias Gokalp : une implacable plongée dans le monde ouvrier

Après le déjà remarquable « Rien de personnel » en 2009, qui traitait des rapports de classe de façon ludique, Mathias Gokalp confirme son talent pour s’emparer de sujets engagés en adaptant ici le célèbre ouvrage du sociologue et philosophe Robert Linhart sur son expérience dans une usine Citroën.


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À la fin des années 1960, plusieurs milliers d’étudiants, d’intellectuels et de militants d’extrême gauche s’enrôlèrent dans les usines. Ils comptaient comprendre le travail de l’intérieur et préparer clandestinement une révolution qu’ils estimaient imminente. Le normalien Robert, incarné corps et âme par Swann Arlaud, fut un « établi » comme eux. Ce beau film âpre et chaleureux raconte cette expérience à la fois unique et collective en nous faisant partager ses doutes et leur lutte. Un réel esprit de troupe irrigue la mise en scène : les collègues du héros sont tous singuliers dans leur écriture et dans leur incarnation.

Gokalp nous rend aussi sensible à la position fragile qu’occupe Robert, intellectuel parmi les prolétaires, se battant à leurs côtés, tout en appartenant à la classe dite bourgeoise, pointant sa maladresse autant que la dangerosité du travail. Il sait rendre fascinante une séquence de chaîne de montage d’une 2 CV, jouant avec une bande-son littéralement industrielle et une lumière douce, nonobstant la dureté de la tâche. Ce retour nécessaire et tonique sur une page d’histoire importante résonne d’autant plus fortement aujourd’hui, alors que la réforme des retraites est contestée et la pénibilité du travail pointée.

L’Établi de Mathias Gokalp, Le Pacte (1 h 57), sortie le 5 avril

Images (c) Karé Productions