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Laura Poitras : « Mon film parle d'art et de survie »

  • Quentin Grosset
  • 2023-02-20

Les portraits documentaires de Laura Poitras nous passionnent parce qu’ils allient l’intime à la confrontation directe au pouvoir. Dans l’édifiant « Citizenfour », Oscar du meilleur documentaire en 2015, elle filmait le lanceur d’alerte Edward Snowden sur le point de dévoiler le scandale de la surveillance de masse aux États-Unis. Aujourd’hui, avec le tranchant « Toute la beauté et le sang versé » (Lion d’or au Festival de Venise), elle retrace la vie de la photographe et figure de la contre-culture Nan Goldin et la suit dans son combat pour mettre en lumière les puissants responsables de la crise des opioïdes. Rencontre avec une cinéaste qui, comme celles et ceux qu’elle filme, s’affirme en briseuse de silence.

Dans vos films, vous montrez l’exemple de citoyens qui se réapproprient le pouvoir contre la toute-puissance de grandes institutions, de gouvernements ou d’entreprises dans un idéal de justice et de liberté. Vos films ont-ils vocation à encourager l’activisme ?

Ce n’est pas tant que j’essaie d’appeler d’autres personnes à devenir militants, mais je m’intéresse vraiment aux personnes qui affrontent le pouvoir et qui remportent des victoires. Je veux comprendre qui elles sont, je suis obsédée par leurs histoires. Mais vous avez raison, je pense que leur itinéraire nous éclaire sur la façon dont le changement social peut avoir lieu. Bien sûr, je pense que nous vivons dans un monde rempli d’injustices, de crimes et d’atrocités et que nous devrions les combattre. Donc, si mes films inspirent des gens, c’est très bien, mais ce n’est pas pour ça que je les fais.

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Qu’est-ce qui vous fascine dans ces figures d’opposition à l’ordre établi ?

Je suis intéressée par les portraits d’individus qui me permettent de produire une critique plus large de la société. À travers celui d’Edward Snowden [dans Citizenfour, sorti en 2015, ndlr], la critique portait sur l’impérialisme américain, sur l’impact des violations extrêmes que se permettent les États-Unis au nom de la lutte contre le terrorisme. Je parle ici de la surveillance de masse [en 2013, Edward Snowden a révélé les abus du système de surveillance orchestré par la National Security Agency (NSA), ndlr], mais aussi des guerres et de l’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan. Avec mon portrait de Nan Goldin dans Toute la beauté et le sang versé, il s’agit plutôt d’étudier les défaillances des États-Unis et de leur gouvernement, la faillite de notre système judiciaire, l’incapacité de notre société à protéger ses citoyens. [Avec son collectif PAIN, pour Prescription Addiction Intervention Now, Nan Goldin milite contre les responsables de la crise des opioïdes qui a causé une véritable épidémie de morts par overdose depuis les années 2010. Goldin elle-même a été accro à l’OxyContin, un antidouleur commercialisé depuis 1996 par le laboratoire Purdue Pharma, qui appartient à la famille Sackler. Dans le film, on voit la photographe utiliser sa notoriété pour que le nom de cette famille de grands mécènes de l’art disparaisse des grands musées tels que le Guggenheim à New York ou le Louvre à Paris, ndlr.]

Nan Goldin, Buzz and Nan at the Afterhours, New York City, 1980 Courtesy of Nan Goldin

Une question traverse Toute la beauté et le sang versé : comment mettre des images, des mots sur des silences imposés ? Ce sont par exemple les parents de Nan Goldin qui réduisent sa sœur Barbara au silence parce qu’elle est lesbienne et révoltée. C’est aussi la censure du texte très politique de l’artiste David Wojnarowicz qui préface l’exposition montée par Goldin, « Témoins : contre notre disparition », en 1989, un inventaire en photos de ses amis artistes morts ou malades du sida. Défaire ces silences, c’est aussi ce qui vous meut en tant que cinéaste ?

Oui, particulièrement avec ce film-là. Il s’agit de renverser la table, comme le fait Nan avec son art. Elle y met en avant des gens que la société a choisi de réduire au silence. Le film parle beaucoup d’art et de survie, pour Nan en tant qu’artiste, mais aussi pour les personnes qu’elle expose. J’accompagne cette recherche : comment trouver, imposer sa voix ? David Wojnarowicz [artiste gay protéiforme et militant emblématique du New York des années 1980, mort du sida en 1992, ndlr] est pour moi une grande source d’inspiration. Il pose cette question dans le film : n’est-ce pas étonnant qu’un seul texte [« Postcards from America : X-rays from hell », ndlr] puisse générer autant de controverse ? N’est-ce pas la preuve qu’il y a une faille dans le système ? En tant que cinéaste, je veux comprendre quelles sont ces fissures, et comment on peut s’y glisser pour changer la société.

Votre film présente une analogie entre la crise du sida dans les années 1980-1990 et la crise des opioïdes aujourd’hui. À quel moment avez-vous compris que ces crises étaient liées ?

Elles l’étaient de fait par l’histoire de Nan. Très tôt, j’ai donc su que les deux crises convergeraient, à la fois parce qu’elles ont eu un impact intime sur elle, mais aussi parce qu’aux États-Unis nous faisons face à une sorte d’amnésie historique. Les jeunes générations ne se souviennent pas à quel point le sida a été dévastateur ni comment le gouvernement a laissé tomber les gens.

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Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras (c) Pyramide

Il y a un célèbre slogan d’Act Up : « silence = mort ». Qu’est-ce qu’il vous inspire par rapport à votre film ?

Quand, en 2017, en réponse à la crise des opioïdes, Nan Goldin a fondé PAIN avec des artistes, des activistes, et des personnes touchées par l’addiction, elle se référait toujours beaucoup à Act Up. Donc il y a toujours eu le symbole « silence = mort » dans le salon de Nan. Il y a aussi cette interview d’elle sur CNN dans les années 1980 où elle le porte sur un badge. « Silence = mort », je pense que c’est juste. Si on ne se lève pas pour demander des comptes à nos gouvernements ou aux entreprises concernant leurs infractions et leurs crimes, on devient des spectateurs complices. On doit parler plus fort.

J’ai aussi beaucoup pensé à ce slogan quand, dans le film, vous projetez les autoportraits de Nan Goldin réalisés après qu’elle a été battue par un homme.

Oui, Nan les a courageusement montrés juste après les faits [en 1986, dans son célèbre diaporama The Ballad of Sexual Dependency, ndlr]. Elle l’a fait avec la conviction qu’il était important de partager une expérience que beaucoup de femmes subissent, mais dont elles ont honte ou qu’elles gardent secrète. En montrant ces images, comme elle l’a dit, elle a senti qu’elle empêchait un cycle de violences de se répéter, tout en espérant que cela permette aussi à d’autres d’arrêter ce cycle.

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Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras (c) Pyramide

Act Up pensait ses interventions dans l’espace public d’un point de vue esthétique, graphique, à travers des happenings, avec un style visuel fier, offensif et camp, toutes choses qu’a repris le collectif PAIN de Nan Goldin dans ses actions. Quelles questions vous êtes-vous posées pour retranscrire cette force de frappe ?

Avec ses actions spectaculaires et confrontationnelles, je pense que PAIN souhaite deux choses. D’abord, ses membres veulent créer un lien avec les gens qui sont là par hasard et assistent au happening, comme les visiteurs du musée Guggenheim dont une aile portait le nom des Sackler [ils en étaient mécènes, ndlr]. Ils veulent les alerter sur les méfaits de cette famille en lien avec la crise des opioïdes. Ce n’est pas seulement pour la belle image. Ensuite, en vue d’une reprise médiatique, c’est important d’avoir une action qui soit en même temps une œuvre d’art. Lancer une flopée d’ordonnances d’opioïdes délivrées aux victimes de l’OxyContin pour qu’elles volent dans tout le musée, ou faire un die-in, je pense que ça a à voir avec la performance artistique. Mon travail de réalisatrice, c’était d’en rendre le caractère surprenant, émouvant, mais aussi d’en transcrire la beauté.

Selon vous, comment l’activisme a évolué depuis les années 1980, non seulement avec l’arrivée des réseaux sociaux, mais aussi avec la surveillance de masse que vous dépeigniez dans Citizenfour ?

Les gouvernements n’ont pas attendu les réseaux sociaux pour surveiller les activistes. Je prends l’exemple des États-Unis : le F.B.I. surveille toute personne qui menace le pouvoir en place. Je pense que c’est pareil en France. La surveillance est un outil du pouvoir pour écraser la dissidence. Mais, avec les réseaux sociaux, un nombre important de militants peut se connecter ensemble plus rapidement, d’une manière qui n’était pas possible avant, comme ça a été le cas pour les « printemps arabes ». Je pense que ça a changé la politique aux États-Unis. Ce n’est pas nouveau que la police y assassine des membres des communautés noires, mais maintenant, avec les réseaux sociaux, vous avez la possibilité de documenter ces meurtres et de vous organiser.

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Une séquence du film est particulièrement forte. Par l’intermédiaire d’une réunion Zoom, la famille Sackler est condamnée par la justice à entendre le récit des victimes de l’OxyContin. Quel était, pour vous, l’enjeu de cette scène ?

Pour moi, c’était terrifiant que cette famille puisse être le moteur de cette crise qui a tué tant de gens, et qu’elle n’ait jamais été inculpée alors qu’il y a tant de preuves contre elle. C’est un crime, les Sackler savaient ce qui se passait. Et puis il y a cette situation que j’ai filmée : tout ce qu’ils avaient à faire, c’était d’écouter les gens leur dire qu’ils avaient trouvé leur enfant mort par overdose. C’était un moment vraiment troublant à filmer, 
on était tous en larmes. Moi, bien sûr, je ne leur ai pas demandé la permission de filmer. Je n’ai pas demandé non plus la permission au tribunal. Ça valait la peine de prendre ce risque, j’ai pensé que c’était essentiel. Si la justice américaine veut s’en prendre à moi, qu’elle vienne me chercher.

Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras (c) Pyramide

Pourquoi était-il important pour vous de montrer les visages des Sackler à ce moment-là ?

Pour les victimes, voir leurs visages, c’est important. Le film sera diffusé dans le monde entier, donc maintenant beaucoup de gens sauront qui ils sont. Les Sackler ont fait très attention à ne pas apparaître dans la presse, ils ont tout fait pour dissocier leur nom du scandale de l’OxyContin. Ils avaient une société privée, Purdue Pharma, derrière laquelle ils s’abritaient pour cacher leur nom alors qu’ils profitaient de ses bénéfices. À cause des souffrances et des morts qu’ils ont causées, il est nécessaire que leur nom mais aussi leurs visages soient connus.

En tant que portraitiste, vous identifiez-vous au travail artistique de Nan Goldin ?

Oui, Nan et moi sommes liées à beaucoup de niveaux. Lorsqu’elle parle de la caméra comme d’un moyen pour trouver sa voix, je ressens la même chose, même si mes films sont très différents de ses photos, de ses diaporamas. Faire de l’art, avoir une voix, c’est ce qui me fait tenir, ça donne un but à ma vie.

Lorsque vous faites un portrait, quelle importance donnez-vous au consentement, au regard de la personne que vous filmez sur votre travail ?

Je dirais que ça dépend de la personne. Lorsqu’il s’agit de quelqu’un qui encourt des risques, qui est en danger, ou qui dispose d’un pouvoir limité, son consentement est essentiel. Dans le cas de Nan, qui partage avec moi son intimité, des détails sur ses traumatismes, notre relation doit être fondée sur le consentement. Mais, lorsqu’il s’agit de quelqu’un dans une position de grand pouvoir, ou qui a commis des crimes, c’est différent. Ma posture en tant que cinéaste est alors celle d’une adversaire.

Nan Goldin, Nan and Barbara Holding Hands Courtesy of Nan Goldin

Comment avez-vous créé cette relation de confiance avec Nan Goldin ?

Au fil du temps. Elle connaissait mon travail, je connaissais le sien. J’ai été très prudente, pour ne pas heurter sa sensibilité. J’ai par exemple utilisé des disques durs cryptés, pour que personne d’autre n’ait accès à ce qu’elle partageait avec moi de plus intime. C’étaient des détails de sa vie avec lesquels je me devais d’être extrêmement respectueuse et transparente, à chaque étape du processus de création. Nan a vraiment été une collaboratrice sur ce film. Elle dit dans le film qu’elle veut que les personnes qu’elle photographie se sentent fières de ses photos. Et moi je veux que Nan soit fière de ce film.

C’est elle qui vous a choisie pour raconter son histoire et suivre ses combats. Pourquoi, à votre avis ?

Il faut savoir que c’est un film que Nan a commencé seule. Elle a tourné pendant un an et demi, puis elle a cherché d’autres cinéastes. Je pense qu’elle m’a choisie en raison de mon travail passé. Elle a probablement vu en moi une personne capable de comprendre les gens qui osent affronter le pouvoir.

L’approche photographique de Nan Goldin est très spontanée, organique, évolutive, car reliée à sa propre expérience. Comment retranscrire cela au cinéma ?

Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous dites. Il y a une profonde crudité et une intimité dans tout ce que Nan crée. Les documentaristes peuvent apprendre beaucoup de son travail, de son côté brut, de l’émotion qu’elle communique, de la beauté de son œuvre. Sa façon de faire est un exemple pour les cinéastes : créer une relation avec ses sujets, prêter attention à ce qu’ils ou elles ressentent, ne pas être celui ou celle qui prend une photo puis s’en va. C’est quelque chose d’important dans mon travail, je maintiens un lien avec les personnes que j’ai filmées.

Nan Goldin, Nan and Barbara Holding Hands Courtesy of Nan Goldin

Dans votre portrait du New York underground des années 1980 auquel Nan Goldin est très liée, vous insistez beaucoup sur une de ses amies, la légendaire écrivaine et actrice Cookie Mueller, qui est morte du sida en 1989. Vous revenez notamment sur ses funérailles, que Nan Goldin a photographiées.

Oui, cette commémoration a eu lieu la veille de l’ouverture de l’exposition à Artists Space dont nous parlions au début de l’entretien. Cette partie du film est censée dire quelque chose sur l’art comme moyen de maintenir les communautés ensemble, d’honorer la mémoire des défunts, comme un appui pour survivre et se battre. Je voulais vraiment célébrer ces femmes artistes radicales, comme Cookie, qui ne se conforment pas aux règles. Nan a beaucoup parlé du fait que les artistes masculins ont parfois dédaigné son travail. Donc je voulais que le film soit puissamment féministe. L’une de mes parties préférées du film, c’est celle du Tin Pan Alley Bar, tenu par la grande Maggie Smith, sur la 49e rue [Nan Goldin y a travaillé en tant que serveuse pendant cinq ans, ndlr]. Elle l’a créé pour permettre aux travailleuses du sexe d’avoir d’autres sources de revenus. Il n’y avait pas de personnel masculin, c’était un espace géré par des forces féminines.

Comment les techniques du journalisme d’investigation infusent votre travail ?

Je me considère vraiment comme une cinéaste, mais je suis très attachée à l’éthique et aux lignes directrices du journalisme. Si, dans mes films, j’énonce des faits sur des organisations puissantes ou des gouvernements, je me dois forcément de respecter cette déontologie. Mais je tiens à ce que ça reste du cinéma.

Vous avez d’ailleurs avant tout une formation artistique, au San Francisco Art Institute. Quels étaient alors les cinéastes ou artistes importants pour vous ?

Ils étaient très liés à l’avant-garde, à l’expérimental. Il y avait The Flicker de Tony Conrad [1965, ndlr], Wavelength de Michael Snow [1967, ndlr]… tous ces films sans personnages, qui travaillaient le cinéma en tant que médium. Je pense que ces racines sont toujours présentes dans mon travail. Par exemple, les diaporamas de Nan Goldin inventent leur propre langage, défient les manières traditionnelles de raconter des histoires. Donc j’ai l’impression que ce film est un peu un retour aux sources. Même si je documente l’histoire, et que ça m’intéresse beaucoup, je me sens toujours connectée à ce cinéma plus radical, moins axé sur la narration.

Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras (c) Pyramide

Ma rédactrice en chef m’a raconté que, lorsqu’elle vous avait interviewée pour Citizenfour en 2014, elle a eu l’impression de plonger en plein thriller d’espionnage. Vous viviez alors à Berlin, et vous ne pouviez plus vous rendre aux États-Unis, sous peine d’être arrêtée en tant que complice d’Edward Snowden. Pour vous joindre, elle avait dû donner un faux nom. Quel souvenir gardez-vous de cette période ?

Je vais être honnête, avant de rencontrer Ed [Edward Snowden, ndlr] à Hong Kong, je me disais : « Assure-toi que tu n’es pas la seule personne qui dispose de ces informations parce que, sinon, le gouvernement américain va sûrement te tuer pour empêcher leur diffusion. » [Dans le film, Laura Poitras reçoit un email crypté d’un certain Citizenfour. Derrière ce pseudo se cache Edward Snowden, qui lui demande de venir le rencontrer à Hong Kong, alors qu’il est sur le point de rendre ses informations sur la NSA publiques, ndlr.] On était très en colère contre les forces les plus puissantes du gouvernement américain et d’autres pays. Mais il y avait aussi beaucoup de peur, et j’avais peur pour la vie d’Ed. Comme vous le dites, on m’a alors conseillé de ne pas retourner aux États-Unis, car je risquais des poursuites. Et puis il y a eu aussi des discussions sur le fait de nous désigner, Glenn Greenwald [le journaliste du Guardian qui l’a accompagnée à Hong Kong, ndlr] et moi, comme des courtiers en données [des personne dont la profession est de rechercher et de livrer des informations contre une rémunération, ndlr], et non comme des journalistes, afin que le gouvernement puisse nous attaquer. C’était une époque effrayante. Pendant un an, je n’ai pas eu de téléphone portable sur moi. Je sais par certaines personnes à Berlin qu’il y avait des gens qui me suivaient.

Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras (c) Pyramide

L’Oscar du meilleur documentaire décerné à Citizenfour a-t-il changé quelque chose à cette situation ?

Oui, franchement, il me protège. Le soutien international, le fait que tant de pays soient indignés par l’espionnage de la NSA, le retentissement médiatique m’ont également protégée. Encore une fois, le gouvernement américain aurait fait n’importe quoi pour empêcher ces divulgations, pour garder secret l’espionnage de masse.

Quelle est selon vous la plus grande menace pour la liberté de la presse aujourd’hui ?

La plus grande menace pour la liberté de la presse aujourd’hui est la poursuite de Julian Assange par les États-Unis. Point final. C’est un scandale. Je veux dire, que le gouvernement américain poursuive Assange pour avoir publié des informations véridiques qui ont exposé leurs guerres et leurs occupations en Irak et en Afghanistan, c’est terrifiant [Julian Assange a fondé WikiLeaks, plateforme qui publiait des documents classifiés provenant de sources anonymes. En 2010, WikiLeaks a publié plusieurs centaines de milliers de documents classifiés de l’armée américaine sur les guerres en Afghanistan et en Irak, révélant des crimes de guerre et des cas de torture de la part de soldats américains. Visé par un mandat d’arrêt américain et détenu au Royaume-Uni, Assange risque l’extradition et jusqu’à cent soixante-quinze ans d’incarcération dans une prison de haute sécurité, ndlr]. Et ce n’est pas seulement terrifiant parce qu’il vise Assange en tant qu’éditeur, mais parce que cela crée un précédent qui fait de toute personne publiant des informations sur la sécurité nationale, exposant des crimes de guerre, une cible potentielle. Et pas seulement les citoyens américains. Quiconque publie quoi que ce soit ayant trait à la sécurité nationale du gouvernement américain pourrait être inculpé en vertu de l’Espionage Act [une loi fédérale visant à empêcher toute gêne dans les opérations militaires américaines, ndlr]. Si vous lisez l’acte d’accusation de Julian Assange, je suis coupable de la même chose. Donc s’ils inculpent Julian, ils devraient m’inculper, ainsi que d’innombrables autres journalistes.

Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras, Pyramide (1h57), sortie le 15 mars

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