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« Kokomo City » de D. Smith : un regard cru sur les travailleuses du sexe
- Hanneli Victoire
- 2023-12-01
[Critique] Dans un somptueux documentaire en noir et blanc, la réalisatrice D. Smith fait éclore la trop rare parole des travailleuses du sexe noires et transgenres américaines.
Elle est tranquillement allongée dans son bain, filmée comme si l’on se trouvait juste à côté, plongés ensemble dans une discussion entre amis. Daniella, une cigarette à la main, nous parle de son vécu de femme noire, transgenre et travailleuse du sexe avec une telle pertinence qu’on a le sentiment d’assister en direct à l’élaboration du meilleur essai féministe jamais écrit.
Daniella, Liyah, Dominique, Koko ou Rich-Paris, les cinq protagonistes de Kokomo City qui déroulent punchlines sur punchlines féministes, ne sont pourtant ni journalistes ni universitaires. Elles sont des travailleuses du sexe transgenres et prodiguent leurs services en majorité à des hommes en couple, adeptes de pratiques et fantasmes sexuels dont ils ont honte. Bien conscientes du fétichisme transphobe, mais aussi du racisme qui poussent ces hommes dans leurs bras, les cinq jeunes femmes ne glorifient pas non plus leur activité.
C’est bien là l’intelligence de ce documentaire en noir et blanc signé par une réalisatrice elle-même transgenre et noire : dépeindre un quotidien sans misérabilisme, tout en nuances. Baladant sa caméra de New York City à Los Angeles, D. Smith interroge également plusieurs amants et clients, donnant une vraie profondeur aux propos des héroïnes de son film. Entre homophobie intériorisée, honte, fétichisme décomplexé, mais aussi parfois une infinie tendresse envers leur compagne, les émotions contradictoires des hommes qui fréquentent les femmes transgenres sont judicieusement saisies par la caméra de la réalisatrice.
Dénonçant l’hypocrisie de ceux qui les valorisent au lit, mais les violentent dans la vraie vie, les héroïnes de Kokomo City déroulent également une fine analyse de la transphobie qu’elles vivent de la part des autres femmes. Méprisées, insultées, jamais considérées en tant que femmes, perçues comme des rivales. Leur constat est sans appel : le féminisme ne gagnera aucune bataille tant qu’il n’inclura pas les femmes transgenres et racisées. Le meurtre de Koko, l’une des protagonistes, commis en avril dernier, vient effroyablement illustrer le propos sur l’extrême violence à laquelle ces femmes sont exposées au quotidien.
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