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« Eureka » de Lisandro Alonso : la face sombre de l'Amérique

  • Thomas Choury
  • 2024-01-26

[Critique] En déployant, de part et d’autre du continent américain, une fresque sidérante, des années 1870 à nos jours, l’Argentin Lisandro Alonso donne une impulsion immédiatement politique à une filmographie déjà majeure.

L’amplitude inédite d’Eureka, par sa longueur et les différents mondes traversés, lui confère une place extraordinaire dans l’œuvre de son réalisateur, le rare Lisandro Alonso. Son dernier film en date remonte à presque dix ans et amorçait déjà un tournant au sein d’une filmographie exigeante : Jauja plongeait Viggo Mortensen dans un western minéral, au cœur de la Patagonie, à la recherche de sa fille mystérieusement évaporée.

La longue ouverture en noir et blanc d’Eureka parodie directement ce film précédent : la mise en scène contemplative a cédé sa place à une action truculente qui singe le mauvais cinéma de série B. Entrée en matière déstabilisante pour peu que l’on soit familier de l’austérité traditionnelle du cinéaste argentin. Cette introduction baroque est un leurre : le pastiche est en fait diffusé à la télévision, au milieu du salon d’une famille lakota, dans les États-Unis d’aujourd’hui. Dès ce décrochage, le rythme d’Eureka se ralentit pour épouser la quotidienneté d’une jeune policière arpentant le territoire au gré des tensions qui ponctuent les réserves amérindiennes.

Tout le cinéma d’Alonso remonte alors à la surface : filmer pour épuiser le réel, réinscrire les corps des personnages dans un ultramatérialisme qui retranscrit le temps, les distances et le poids de chaque objet, de chaque geste et de chaque émotion. Cet art de la présence et de l’endurance ne vise, par contraste, qu’à suggérer le surgissement de l’absence. Ce motif secret, que l’on retrouve dans d’autres de ses films comme Liverpool, trouve ici une résolution majestueuse : le geste englobant d’Eureka, par-delà l’espace-temps, embrasse symboliquement l’histoire tragique du continent américain.

La lente plongée du récit vers un univers primitif et animiste renvoie à une culture ancestrale, commune à tous les peuples autochtones, du sud au nord, frappés, au cours de l’histoire, par de multiples phases d’exterminations. La disparition du personnage principal est ici la clé de toutes les autres qui scandent l’œuvre primordiale d’Alonso.

Eureka de Lisandro Alonso, Le Pacte (2 h 26), sortie le 28 février.

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