
Elle n’en a pas l’air au premier abord, mais à y regarder de près, The White Lotus possède un concept aussi limpide qu’une bonne télé-réalité : une chaîne d’hôtels de luxe aux destinations exotiques (Hawaï, l’Italie puis la Thaïlande), une galerie de personnages hauts en couleur et de potentielles morts, comparables aux éliminations des reality show de compétition.
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Mike White, son créateur et showrunner, est d’ailleurs un fan de télé-réalité de longue date. Il a participé avec son père à deux saisons de The Amazing Race (la version US de Pékin Express) et à une saison de Survivor (équivalent américain de Koh-Lanta). Ses expériences transparaissent dans la précision avec laquelle il caractérise ses personnages et construit des situations explosives.
Les Real Housewives de The White Lotus
The White Lotus se présente comme un savant croisement entre la survivaliste Koh-Lanta (pour les destinations exotiques et les relations entre les candidat·es) et la bling-bling The Real Housewives.
Lancée en 2006, cette télé-réalité à succès met en scène les nombreux dramas, à haute valeur virale, d’un groupe de femmes fortunées résidant dans diverses villes américaines : Orange County, Beverly Hills, Dallas etc.
Tanya McQuoid, l’héritière over the top incarnée par Jennifer Coolidge durant les deux premières saisons de The White Lotus, aurait eu toute sa place dans une déclinaison des Real Housewives à San Francisco ! Tout comme Victoria Ratliff, la mère de famille accro au Lorazépam et à son style de vie de la saison 3, incarnée par la truculente Parker Posey.
On pense aussi au groupe d’amies, mi-toxiques mi-touchantes, composé de Kate, Laurie et Jaclyn. Leurs dynamiques changeantes, entre gossips, trahisons et disputes mémorables, sont aussi savoureuses à suivre qu’un épisode des Real Housewives. Il faut saluer ici les performances tragi-comiques absolument géniales de Carrie Coon, Michelle Monaghan et Leslie Ribs.
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Mike White applique la règle numéro un d’une bonne télé-réalité et d’une bonne saison de White Lotus : un casting d’anthologie ! Le showrunner a sa recette personnelle, composée de valeurs sûres du monde des séries (Carrie Coon, Walton Goggins, Murray Bartlett…), de talents émergents (Sydney Sweeney, Sarah Catherine Hook, Aimee Lou Wood…) et de succulentes surprises (Sam Rockwell, la chanteuse Lisa, Patrick Schwarzenegger). Il n’oublie pas de ressusciter au passage quelques carrières féminines injustement moroses, comme celles de Jennifer Coolidge ou de Parker Posey.

Une série taillée sur-mesure pour les réseaux sociaux
Un casting réussi et une destination de rêve ne font pas tout : si les télé-réalités peuvent compter sur la répartie de feu de leurs stars pour enflammer les réseaux sociaux, Mike White se repose de son côté sur sa plume affûtée, qui nous a livré des répliques désopilantes du genre : “Ces gays, ils essaient de me tuer !” ! Déclamée avec un niveau de camp parfait par Jennifer Coolidge dans le final de la saison 2, la fameuse phrase a connu une nouvelle vie sous forme de gifs et mèmes.
Au-delà du personnage iconique de Tanya, dont le fantôme flotte sur la saison 3, The White Lotus est sans nul doute la série la plus virale qu’on ait vu sur un écran depuis rien de moins que Game of Thrones. Sa troisième saison ultra-commentée nous l’a encore prouvée.
Chaque épisode produit son lot de dialogues cultes (« Je ne pense pas qu’à cet âge, je suis faite pour vivre une vie inconfortable » a explosé les compteurs cette année), d’expressions faciales (les interprètes alternent entre une façon de jouer camp et subtile) et autres indices sur l’évolution des personnages (les peintures du générique, le placement et les costumes des personnages, les objets symboliques comme le livre de Chelsea… ). La méticulosité de Mike White rencontre celle des fans, qui ne se lassent pas de livrer leur interprétation sur Instagram ou Tik Tok, où la série a été mentionnée plus de 775 millions de fois selon Sprout Social.
Le showrunner conçoit-il sa série en se disant à l’avance qu’elle va cartonner sur internet ? La scène tant attendue de la fusillade finale contient deux moments “mèmesques” à souhait : Jacelyn, Kate et Laurie s’enfuient, mais cette dernière part à la vitesse de la lumière comparé à ses deux copines. Dans le même plan, on distingue à gauche Fabian, le manager de l’hôtel joué par Christian Friedel, plonger de manière grotesque dans le petit lac pour échapper à la fusillade. Ou comment provoquer en une scène des milliers de réactions hilares sur les réseaux sociaux.

Une satire sociale en demi-teinte
Les télé-réalités les plus iconiques se font le reflet, d’une manière ou d’une autre, de notre société individualiste et de notre tendance au voyeurisme. Il en va de même pour White Lotus, qui nous raconte à quel point nous sommes avides de reconnaissance, de pouvoir et d’argent. Chaque saison contient son lot de déchéance morale face aux attraits du capitalisme. En saison 3, les personnages de Gaitok, Belinda et Piper s’assoient sur leurs principes et choisissent le statut social, l’argent et le confort.
La série reste grinçante dans sa peinture des classes dominantes et du pouvoir corrupteur de l’argent, mais son succès phénoménal est à double tranchant. Nombre de fans achèvent The White Lotus en réservant leurs billets pour la Thaïlande (le phénomène de set-jetting), pays à la fois dépendant et victime du tourisme de masse et du capitalisme occidental.
Mike White n’est pas responsable de la façon dont les fans reçoivent sa série, mais cette réception interroge. La dimension de satire sociale de The White Lotus est-elle en train de se dissoudre dans son immense succès ? La formule de la série, calquée sur celle d’une télé-réalité addictive, ne l’enferme-t-elle pas dans une certaine vacuité ? Car s’il y a bien une chose certaine dans The White Lotus, c’est que l’argent gagne toujours.