David Ayala, la subversion douce

Souvent cantonné au cinéma à des rôles de méchants ou d’escrocs, le comédien, metteur en scène de théâtre et acteur David Ayala est désormais un visage reconnaissable des petit et grand écrans (il a joué dans la série « D’argent et de sang », le film « Sentinelle sud » de Mathieu Gerault, sorti en 2022, ou plus récemment le fascinant « Miséricorde » d’Alain Guiraudie, 2024). Il est à l’affiche d’« On ira » d’Enya Baroux (en salles le 12 mars), une comédie sur le suicide assisté où il incarne, pour la première fois, un gentil.


David Ayala © Vincent Berenger
David Ayala © Vincent Berenger

« Quand j’ai lu le scénario, j’étais tellement content, je me suis jeté sur la proposition. » C’est le rôle d’inoffensif paumé qu’il attendait : dans On ira d’Enya Baroux, David Ayala incarne un père célibataire endetté, en conflit avec sa fille adolescente et qui accompagne sans le savoir sa mère dans son dernier voyage avant sa mort, programmée en Suisse.

Pour s’emparer du sujet du droit à mourir dans la dignité, Enya Baroux a embarqué David Alaya et son formidable casting (le phénomène Pierre Lottin, la révélation comique Juliette Gasquet et la grande Hélène Vincent) dans un réjouissant road trip tragi-comique. « Des amis m’ont dit que je n’avais jamais été filmé comme ça et c’est vrai, j’ai l’impression que c’est moi et ma personnalité sans trucage, c’est troublant. »

Depuis ses débuts, David Ayala a généreusement offert son physique et sa corpulence de boxeur à toutes les crapules du 6ème et du 7ème art. « Je pèse 125 kilos, ma voix et mon visage ont changé, ça donne matière à rêver aux gens qui écrivent des personnages. Mon physique charrie des fictions. »

Mais voici venu le temps de la rédemption : en octobre dernier, il était également à l’affiche de Miséricorde, où il incarnait Walter, un homme seul et alcoolique, malgré tout véritable lumière de douceur dans la galaxie de personnages aux inquiétantes bizarreries qui hantent le dernier film d’Alain Guiraudie.

Miséricorde d'Alain Guiraudie
Miséricorde d’Alain Guiraudie (2024)

Une performance qui lui vaudra sa première nomination au César du Meilleur second rôle masculin, finalement remporté par Alain Chabat pour L’Amour ouf, le 28 février dernier.

Hasard du cinéma, David Ayala avait lui aussi rejoint la grande aventure de Gilles Lellouche et la bande à La Brosse, un chef de gang incarné par Benoît Poelvoorde (« 16 jours de tournage et 23 minutes d’écran, de scène dialoguées, d’action, de braquage »), avant d’être finalement coupé au montage. Habitué à des seconds rôles sombres, David Ayala a auparavant roulé sa bosse au théâtre.

PREMIÈRES FOIS

C’est à Arles, à une trentaine de kilomètres d’Avignon et donc du plus grand festival de théâtre au monde dont il a longtemps ignoré l’existence, que s’est écrit le début de son histoire. Issu d’un milieu modeste, dans une ville alors encore très populaire et communiste, il galope sur les pistes d’athlétisme et côtoie avec son père (un habitué) le désormais tristement célèbre « Atlantic Bar », dont la fermeture a été si joliment documentée sous la caméra de Fanny Molins dans son documentaire éponyme. « Quand j’ai découvert le festival d’Avignon, je me souviens avoir engueulé mes parents de ne m’y avoir jamais amené. Mais c’était tellement éloigné d’eux, de leur monde. »

C’est une professeure de théâtre qui lui conseille de se présenter au concours du Conservatoire de Montpellier, où il sera admis en parallèle d’une licence de lettres modernes. Alors qu’il se professionnalise sur les planches, l’université sera également le théâtre de son engagement politique dans des syndicats étudiants, puis au Parti communiste et chez les socialistes. Aujourd’hui, ce militantisme l’a épuisé, mais son art bâtit toujours des ponts avec la politique.

Juliette Gasquet, Hélène Vincent, Pierre Lottin et David Ayala dans On ira d'Enya Baroux
Juliette Gasquet, Hélène Vincent, Pierre Lottin et David Ayala dans On ira d’Enya Baroux

Il vient ainsi de mettre en boîte son premier film en tant que réalisateur, Demain nous serons guéris (sans date de sortie annoncée pour le moment), sur la tuerie de masse survenue à la mairie de Nanterre en 2002, lorsqu’au terme d’une séance du conseil municipal, un homme tue huit élus avant de se jeter, deux jours plus tard, des fenêtres du septième étage du 36 quai de Orfèvres. « L’histoire se passe huit mois avant son geste. C’est un film très subversif et donc difficile à distribuer. »

Son attirance pour les récits révolutionnaires ou anticonformistes se confirme lorsqu’il nous parle de l’effet électrisant que lui procurent les monologues de Toto le Mômo, son personnage, inspiré par le testament fiévreux du dramaturge Antonin Artaud, Histoire vécue d’Artaud-Mômo, rédigé à sa sortie d’asile psychiatrique en 1947.

C’est par lui que, plus jeune, il est arrivé à la lecture puis au théâtre, et il veut lui rendre hommage. Il sera donc son double sur scène, dans une pièce (Réminiscences (de Toto Le Mômo)) qu’il joue depuis 2007. Une véritable course d’endurance, qui fera étape au festival d’Avignon, évidemment inoubliable.

NOUVEAU SOUFFLE

Après une longue et belle carrière à courir les planches des théâtres, il lève le pied et retrouve le plaisir des plateaux de cinéma où il reprend son souffle. « Curieusement, le passage du théâtre au cinéma s’est fait sans heurt. Pourtant, quand j’ai débuté, les gens du théâtre étaient vus d’un drôle d’œil sur les plateaux. Mais aujourd’hui, il y a un vrai respect et une porosité. »

Illustration par l’exemple : c’est son rôle dans Un triomphe d’Emmanuel Courcol (2021), où l’acteur incarne un détenu pour qui le jeu se révélera une véritable évidence, qui le placera définitivement sur l’échiquier du cinéma français.

Pour servir cette histoire vraie de prisonniers qui mettent en scène, depuis leur prison, En attendant Godot de Samuel Beckett, il a dû apprendre à jouer entre les deux. « Je connaissais parfaitement Godot, je l’ai joué, je l’ai monté, Kad Merad venait d’ailleurs souvent me voir pour des explications de texte. Mais il a fallu que j’interprète la partition comme un amateur. C’était très dur mais aussi un super pari. » Passé du côté des gentils, le colosse aux pieds d’argile savoure sa revanche.

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On ira d’Enya Baroux, Zinc Film (1 h 37), sortie le 12 mars

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