
De par son exceptionnelle longévité, la filmographie de Manoel de Oliveira traverse tout un pan du cinéma, débutant dès le début des années 1930 avec un documentaire muet, Douro, Faina Fluvial (ressorti en 2008) puis un premier long-métrage autour des turbulences de l’enfance, Aniki Bóbó (1942). Sous la dictature salazariste, ses projets (dont une première version du scénario d’Angelica, un film de fantômes tourné presque soixante ans après, en 2010), sont rejetés par l’administration de l‘Estado Novo, le régime corporatiste installé au Portugal de 1933 à 1974, le contraignant à des courts-métrages de commande jusqu’en 1971.
Son œuvre bénéficie d’une reconnaissance à l’international dès 1981 avec Francesca, présenté à la Quinzaine des cinéastes à Cannes, et surtout avec Val Abraham (1992, invisible sur Arte), une variation du roman de Gustave Flaubert, Madame Bovary, considérée aujourd’hui comme son chef d’œuvre.
Avec un rythme de presque un film par an, le cinéaste enchaîne les tournages et engage des acteurs de renom pour incarner ses fresques où la parole occupe une place déterminante. Il s’agit le plus souvent d’adaptations littéraires, travaillées par un cadre stoïque, parfois austère, influencées par le théâtre et l’opéra. Ces logorrhées filmiques prouvent la liberté constante de son créateur à reformuler les contrariétés du cœur, nous apostropher sur des amours impossibles. Retour sur cinq de ses films, actuellement diffusés sur Arte.

Francisca (1981)
Au milieu du XIXème siècle, deux dandys s’éprennent de deux femmes mais le délaissement de l’un, provoque le désespoir de l’une d’elles. L’adaptation du livre d’Agustina Bessa-Luís, à travers ce théâtre des sentiments et une mise en scène littérale, proclame la fin du romantisme.

Party (1996)
Présenté à la Mostra de Venise, ce film verbal et libertin réunit deux couples lors d’une réception sur une île de l’archipel des Açores. Désir et jalousie composent les rapports de ces personnages, figés dans une aristocratie sur le point de s’effondrer.

La Lettre (1999)
Prix du Jury à Cannes en 1999, La Lettre retranscrit de nos jours La princesse de Clèves, tout en gardant le langage du XVIIe siècle, restituant les frustrations sentimentales de Mademoiselle de Chartres, incarnée par Chiara Mastroianni. Dans cette relecture contemporaine parisienne apparaît l’intemporalité des ambivalences entre le désir et l’amour.

Je rentre à la maison (2001)
À l’issue d’une représentation du Roi se meurt d’Eugène Ionesco, l’acteur principal apprend la mort de son épouse, sa fille et son gendre dans un accident routier. Qualifié à sa sortie de « testamentaire », ce film, porté par le regretté Michel Piccoli, explore subtilement le deuil à travers ses regards fragiles, des gestes routiniers pour combler l’absence.

Un film parlé (2003)
Au cours d’une croisière jusqu’à Bombay, une mère, professeure d’histoire, commente à sa fille les détails de leurs escales. Puis, lors d’un dîner, Catherine Deneuve débat sur l’origine des langues aux côtés de deux autres comédiennes, dont la célèbre actrice grecque Irène Papas. Un récit philosophique qui raconte l’histoire mouvementée du Vieux Continent.