
« Le bonheur, c’est du trompe-malheur, et le film sera subversif dans une grande douceur. Ce sera un beau fruit d’été avec un ver dedans. Le bonheur, cela s’additionne, les tourments aussi », disait Agnès Varda dans ses notes de 1965 sur ce film impressionniste, l’un de ses plus troublants. S’il l’est, c’est surtout par l’impression laissée par son faux happy end, teintée d’ambiguïté.
Le Bonheur aurait pu être un beau film de polyamour : à quelques scènes de la fin, en promenade en forêt, François (Jean-Claude Drouot, qui s’est fait connaître par son rôle dans la série télé d’aventures Thierry la Fronde) demande à son épouse, Thérèse (Claire Drouot, mariée à l’acteur, qu’elle a rencontré sur le tournage du Bonheur), si ça lui va qu’il ait en même temps une histoire avec Émilie (Marie-France Boyer). Pour lui, c’est « du bonheur en plus ». D’abord un peu remuée, elle accepte : « Je t’aime encore plus puisque tu es si content », lui répond-elle. Puis ils font l’amour, au soleil, avant une petite sieste.
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L’image est idyllique : tout le monde est OK, rien n’est dissimulé à personne, on peut espérer que les personnages trouveront une harmonie à trois. Mais le film ne laissera jamais celle-ci se déployer : dans la séquence suivante, Thérèse meurt noyée dans un point d’eau près de là où ils dormaient.
Quand François découvre son corps et qu’il l’enlace, Varda repasse ce geste de l’étreinte plusieurs fois, comme pour imprimer plus profondément ce sentiment de perte, de sidération. Cette mort est-elle accidentelle ? Ou Thérèse s’est-elle suicidée à cause du contrat amoureux qu’elle venait de passer avec François ?
Dès lors, on reste jusqu’à la fin du film avec cette incertitude. On ressent comme un poids alors qu’on assiste à ses funérailles, mais plus encore lorsque le quotidien, le bonheur, reprend sans elle. Émilie élève finalement les enfants que Thérèse a eus avec François. Varda termine le film sur une suite d’images un peu tartes et ironiques de la famille recomposée : le coucher des enfants, la promenade… Mais la blessure du deuil est toujours dans un coin de notre tête. C’est la vie qui continue, comme si de rien n’était. Et c’est aussi triste que joyeux.
Cléo de 5 à 7 , Le Bonheur, L’une chante l’autre pas et Sans toit ni loi d’Agnès Varda, à partir du 6 mars, sur france.tv