« Nismet » de Philippe Faucon : une série essentielle sur l’affranchissement 

En quatre épisodes limpides, Philippe Faucon raconte l’itinéraire brutal mais tourné vers la lumière d’une héroïne en proie à des violences intrafamiliales. Et évite tous les pièges du récit doloriste, avec une admirable intelligence émotionnelle. Une des plus grandes séries de ce début d’année, à voir sur Arte.


"Nismet"
"Nismet" de Philippe Faucon (c) Arte

Une ligne droite vers l’affect. C’est ainsi que procède le cinéma de Philippe Faucon – La DésintégrationLes Harkis -, cinéaste de la soustraction, de l’épure. Il en fallait, de la pudeur, pour raconter la trajectoire réelle de Nismet Hrehorchuk, initiatrice et coscénariste de cette minisérie (4 épisodes de 40 minutes). Alors qu’elle rencontre le réalisateur en 2018, sur le tournage d’Amin, la comédienne lui demande de porter à l’écran son histoire.

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C’est celle d’une ado qui habite dans les barres d’une cité du Nord, près de Lille, avec un beau-père manipulateur (Théo Costa-Marini) et une mère sous emprise (Loubna Abidar). Quand celui-ci abuse d’elle sexuellement, Nismet (Emma Boulanouar) fugue, se fait repécher par la police, passe de foyer en foyer, découvre les rouages de l’aide sociale à l’enfance. Jusqu’à ce que d’un drame, à la fois inévitable et inattendu, se produise. Tout laissait présager un mélo déterministe, l’examen terrible des mécanismes sociologiques qui enserrent, broient. Par un miracle d’écriture, la série nage à contre-courant de ce dolorisme.

Elle organise méthodiquement le chemin émancipateur de Nismet. Philippe Faucon élude les climax sentimentaux, les sommets de douleur, la détresse paralysante. Ne restent que les moments de creux quotidiens – ceux où l’on fume une cigarette en silence pour trouver la force de redémarrer, où l’on fait ses comptes pour bétonner l’avenir – et les élans de vie – ceux où Nismet danse dans une boîte de strip-tease pour arracher aux hommes ce qu’ils ont tenté de lui prendre, sa dignité.

À la faveur de hors-champs, d’ellipses, de coupes brutales, la série devient un geste accéléré, tendu vers l’essentiel : comment devient-on adulte plus vite quand la vie nous y a forcé ? La caméra observe cette mue avec une distance que l’on redoute d’abord intransigeante, mais qui se révèle exemplaire, douce. Aux discours fatalistes, à ceux qui affirment que l’on est condamné par ce qu’on a vécu, Nismet fait un pied de nez serein.

Nismet de Philippe Faucon, à voir sur Arte