Il y a toujours des fantômes cachés dans le cinéma d’Honoré. Des choses, des gens, qui hantent les vivants. Au théâtre, il leur laisse toute la place. Dans la grande salle, somptueuse, du Théâtre de la Porte Saint Martin, chaque soir en ce moment, les fantômes viennent à notre rencontre.
L’écrivain et journaliste Hervé Guibert ; le comédien, dramaturge et metteur en scène Jean-Luc Lagarce ; l’auteur dramatique Bernard-Marie Koltès ; le critique de cinéma et journaliste Serge Daney ; les cinéastes Jacques Demy et Cyril Collard. Des artistes, des intellectuels de la France des années 1990, celle des années VIH-SIDA. Littéralement les idoles d’Honoré, les figures tutélaires d’un cinéaste alors tout jeune homme.
Des modèles qu’il descelle de leur piédestal pour les faire renaître, plus vivants que jamais, le temps d’une soirée dans les limbes. Les voilà qui soudain se racontent, s’engueulent, se draguent, tous réunis sous le joug malheureux de cette maladie qui les a emportés.
Des « déjà morts » qui donnent à entendre à travers ce qu’ils incarnent, ce qu’ils ont vu ou vécu, la violence d’une épidémie sous silence.
Avec brio et délicatesse, le spectacle raconte une époque, attrape les noms au vol (Patrice Chéreau, Rock Hudson, Michel Foucault…), les faits, les gestes, mais n’enferme jamais la salle dans une leçon d’histoire ou de morale au name dropping excluant ou même un mausolée.
PULSION DE VIE
Ce que racontent ces Idoles est terrible, cru parfois comme il faut l’être. Les mots claquent, les situations glacent mais Honoré, et sa troupe phénoménale, sont toujours du côté de la vie. On rit beaucoup et souvent. Et c’est peut-être ce qui rend ce spectacle si fort, si beau et si puissant. Une pulsion de vie comme une façon d’acter le désastre, de ne rien taire, et pourtant de continuer à tenir debout. Quelque part entre la colère et la résignation, l’enchantement et la désillusion.
Désormais, quelque part en nous, Jacques Demy a les traits de Marlène Saldana enveloppée dans le grand manteau de fourrure de son film Une chambre en ville. Les voir tous les deux voguer et danser sur Les Demoiselles de Rochefort est un spectacle aussi euphorique qu’émouvant.
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Les aphorismes de Serge Daney ont alors le sens si parfait du timing de Jean-Charles Clichet ; Cyril Collard porte à merveille le short d’Harrison Arévalo ; Lagarce, lui, a désormais la voix délicatement ironique de Julien Honoré, tandis que soudain, Paul Kircher, pour sa première apparition au théâtre, électrise la scène de sa jeunesse comme Koltès avant lui avec les mots. Et puis Marina Foïs.
TEMPS MORT
Il y a au centre du spectacle un monologue de 20 minutes. Le récit de la mort du philosophe Michel Foucault par Guibert. La comédienne, taillée dans la chemise rose et le pantalon cintré de l’écrivain, souffle les mots, les porte, les crie et toute la salle ne vit plus qu’au fil des jours de l’agonie. Un moment sidérant au cœur d’un spectacle qui ne cesse de surprendre et de s’inventer devant nous en zigzaguant ainsi avec tant de grâce entre le théâtre, la littérature et le cinéma, l’intime et le politique, les morts et les vivants.
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