QUEER GAZE · Sara Forever : « Je me souviens de La Cicciolina, cette femme sulfureuse, en pleine possession de son corps »

Sara Forever, la finaliste de la deuxième saison de Drag Race France joue son premier seul-en-scène, « Dynasties », à la Maison des métallos en février. Matthieu Barbin (son nom à la ville) y rejoue son enfance en s’imaginant une filiation rêvée, inconcevable à l’époque. L’occasion parfaite pour le faire parler des premières images qui ont résonné avec son identité queer.


Sara Forever
© Courtesy de Sara Forever

Queer Gaze est la rubrique de notre journaliste Timé Zoppé sur le cinéma LGBTQ+

SARA FOREVER : « Quand j’étais petit, il y avait une vraie difficulté d’identification à l’art et aux personnalités queer, mais plus globalement à la culture. Chez moi, l’accès au monde passait essentiellement par la télé, c’est pour ça que c’est un objet très présent dans le spectacle. J’explique que ma famille me laisse très peu de patrimoine matériel mais aussi culturel. La culture est une notion qui reste très vague et flottante dans ma famille, je pense que personne ne savait même ce que c’était que le métier d’artiste.

Il y a deux figures vues à la télé quand j’étais petit que j’ai appris à identifier – parce que ce n’était pas du tout le cas à l’époque – comme queer. D’abord Elton John, avec ce truc extrêmement flamboyant à la Liberace – que j’ai connu bien après, en comprenant que c’était en quelque sorte la version originale. D’ailleurs, j’ouvre le spectacle sur une chanson d’Elton John, je viens de faire le rapprochement ! C’est quelqu’un qui a assumé une opulence, un maximalisme qu’on retrouvait assez peu à l’époque, surtout chez les hommes.

La Cicciolina à une manifestation anti prohibition à Rome en 1989
La Cicciolina à une manifestation anti-prohibition à Rome en 1989 © Indecisio42

FAN DE LA CICCIOLINA

L’autre figure, c’est La Cicciolina [une chanteuse, actrice pornographique et femme politique italienne d’origine hongroise très médiatisée entre les années 1970 et 1990, ndlr]. J’avais vu cette femme à la télé à peu près à la même époque, il devait y avoir des reportages sur elle [elle a notamment siégé à la Chambre des députés italienne de 1987 à 1992, ndlr]. Je me souviens de cette femme sulfureuse, en pleine possession de son corps… Elle avait une espèce de liberté dans sa façon d’être et d’habiter son corps, ou en tout cas de le présenter publiquement. Je ne voyais pas du tout la soi-disant vulgarité qu’on voulait lui attribuer, mais juste sa présence incroyable et sa force dans les médias.

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En grandissant, il y a eu la série Dawson [1998-2003, ndlr]. Le héros, ce petit mec un peu fragile, même s’il n’est pas identifié comme gay dans la série, m’a donné un autre rapport à la masculinité. Je suis né en 1989. C’était la première fois, dans les années 1990, qu’on commençait à sexualiser les garçons autrement, à offrir des esthétiques masculines qui sortaient de l’ultra-virilité. C’était l’époque des boys band, avec les 2B3 etc. Il y avait aussi cet acteur, Luke Perry, qui joue Dylan dans Beverly Hills 90210 [1990-2000, ndlr]. Des garçons un peu fragiles, un peu fins, avec les cheveux mi-longs, soit des représentations auxquelles je n’avais eu accès jusque-là.

Sigourney Weaver dans "Alien"
Sigourney Weaver dans « Alien » © D.R.

Au cinéma, je me souviens de Ripley, jouée par Sigourney Weaver dans Alien [de Ridley Scott, 1979, ndlr]. Je me suis dit « Ah, tiens, c’est un autre rapport à la féminité, il y a d’autres modèles possibles ». C’est aussi des personnages que, bizarrement, la fiction désigne comme étant marginaux. Dans mon enfance, je ne comprenais pas tellement pourquoi mais ça a quand même résonné de manière très intuitive. C’est après, en m’emparant des codes, que j’ai commencé à comprendre.

UN SPECTACLE AUTOBIOGRAPHIQUE

Mon spectacle se passe justement dans une chambre d’enfant, celle à laquelle je n’ai pas eu accès. J’ai grandi uniquement avec ma mère, la question de la famille a été très peu présente. Dans la pièce, j’incarne un petit garçon qui s’invente des familles, des liens de sang, des généalogies.

A un moment, je suis la fille de Judy Garland, puis le fils de Michael Jackson… Il y a tout un jeu avec les costumes, avec ce que c’est que de se vêtir d’une seconde peau. C’est traversé aussi par la peur de la perte, celle des parents notamment.

Et enfin, ça parle de grandir quand on est queer, de passer son temps à se déconstruire, et puis d’arriver à ce moment où on se dit « le seul lien avec l’enfant que j’étais – donc pas encore déconstruit – c’est ma mère. » Que faire de ce lien-là ? Est-ce qu’il faut achever la déconstruction jusqu’au bout ? »

Dynasties, du 11 au 20 février à la Maison des Métallos. Pour réservez vos places

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