Pendant longtemps, l’époque a été au développement personnel. « Aller mieux », « devenir mieux », « ouvrir son potentiel », tout ça à base de livres qui n’ont souvent de philosophique que le nom du rayon qui les accueille. Mais on a eu beau se saouler au bruit numérique des vagues des applis de méditation, épuiser tous les récits de tous les podcasts qui nous donnent des leçons (de vie), le constat reste le même. Dur, dur d’être un (bon) adulte.
Heureusement, il y a les spectacles de Camille Chamoux. Depuis Née sous Giscard (2014) et la perplexité d’une génération face à une autre au récent Le Temps de vivre (2022) sur la façon de faire la paix avec la frénésie du monde, la comédienne construit ses seule-en-scène comme des petits précis de lucidité.
Ça va mal, ça pique oui, mais ça va mieux en le disant. Des pansements qui apaisent mais qu’il va bien falloir à un moment arracher.
EN PLEINE FACE
Dès son titre, « Ça va ça va » pose les bases. Des mots qu’on dit comme pour balayer le sujet. Mais qu’on répète pour semer le doute. Ou pour s’agacer. Ça va bof, ça va pas, mais qu’est-ce qu’on peut y faire ? Camille Chamoux s’affronte ici au grand sujet : la fin. À quel moment tout se dégrade ? Qu’est-ce qui se passe quand le corps ne suit plus ? À qui en vouloir ?
Des sujets lourds qui, par l’élégance et l’humour fou, de Camille Chamoux embarquent une salle accrochée à ses lèvres. Naviguant entre anecdote perso, interrogation absurde, échappées fantasques et situations de crise, la comédienne excelle dans l’art de faire rimer personnel avec universel et ce, sans jamais forcer. Plus elle nous parle d’elle, plus elle évoque sa vie, ses doutes, son mec, sa belle-mère, plus elle me parle de moi. L’humour comme un ricochet, d’elle à nous. Une écriture comme des pierres lancées qui frappent toujours juste. C’est-à-dire là où ça fait mal.
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MOTEUR DE COMÉDIE
Confrontée à un petit souci de genoux (les « ligam‘s»), la comédienne, qui s’est longtemps crue immortelle, regarde soudain en avant et se demande où tout ça va aller. Vieillir, certes, mais pourquoi ? Là où, précédemment, elle observait le monde à travers le prisme de sa mélancolie joyeuse, la voici qui soudain regarde devant et transforme ses angoisses en comédie.
« Par un tour de passe-passe, elle déjoue l’aplomb pénible du stand-upper qui prend trop souvent ses bons mots pour des leçons de vie »
Un séjour chez ses parents qui révèle qu’on n’est plus vraiment le bienvenu, l’obsession du bien-être, le cancer de sa belle-mère et les injonctions à la santé quand tout est foutu, le couple face aux galères physiques… La pièce dissèque toutes les tentatives pour tenir debout quand même.
Des problèmes, oui, des solutions, peut-être. Mais sans jamais nous prendre de haut. Par un tour de passe-passe surprenant et osé qu’on taira ici, elle déjoue l’aplomb pénible du stand-upper qui prend trop souvent ses bons mots pour des leçons de vie. Camille doute, Camille ne sait pas, Camille se trompe peut-être et le spectacle mis en scène sous le regard de Cédric Moreau est bien là pour le lui rappeler.
Rythmé par les mélodies de Gabriel Mimouni au piano, Ça va ça va s’invente ainsi comme un seul en scène plein de monde. Un spectacle à la fois singulier et cathartique, constamment surprenant, qui laisse le sentiment drôle et doux d’avoir pris le temps de se dire les choses, et ce jusqu’à un final très émouvant. Une façon peut-être pour Camille Chamoux de nous dire que tant qu’on est ensemble, oui, ça ira.
: Au théâtre des Bouffes Parisiens jusqu’au 18 janvier. Reprise au théâtre de l’Atelier du 15 au 17 mai.