Figure oubliée du cinéma polonais d’après-guerre, contrairement à ses collègues Andrzej Wajda ou Jerzy Skolimowski, Wojciech Has fut victime d’une méprise à hauteur de son œuvre inclassable. Après son déjà déroutant Manuscrit trouvé à Saragosse (1965), La Clepsydre poussait le vertige à son paroxysme.
Adapté de nouvelles surréalistes signées Bruno Schulz, il raconte la visite de Jozef (campé par le bel ingénu Jan Nowicki) à son père soigné dans un sanatorium, en réalité un lieu magique où le temps n’a plus prise. Et Jozef de s’engouffrer tel Alice au pays des merveilles, dans une brèche qui le voit revivre ses souvenirs d’enfance depuis sa perspective d’adulte. Point de narration linéaire, ce serait trahir le concept même du film.
La mémoire est plutôt un dédale de couloirs et de portes dérobées, invention ludique où le cinéma s’incarne comme un vaste terrain de jeu et surtout comme l’art du rêve par excellence.
Entre les automates endormis d’un musée, les commerçants juifs d’un shtetl ou bien cette prostituée mélancolique (extraordinaire Halina Kowalska), les rencontres de Jozef sont le sel d’un récit difforme – à l’instar d’images très picturales tournées au grand angle.
Un récit dont les dehors pétaradants, voire franchement comiques, masquent un propos bouleversant sur les fantômes qu’on trimballe avec soi. Parmi ceux de Jozef, il y a ce père qui lui échappe jusque dans ses rêves ; un grand gamin tout à la fois irrésistible et irresponsable, dont l’oisiveté punk prolonge à merveille le geste du film. Et nous invite moins à le déchiffrer qu’à s’y enfoncer, pourvu qu’on veuille le voir et le revoir pour l’éternité.
: La Clepsydre de Wojciech Has (Malavida, 2h04), ressortie le 8 janvier