Alors qu’il venait de demander sa compagne en mariage, le cinéaste Miguel Gomes a été intrigué par la lecture d’Un gentleman en Asie, dans lequel Somerset Maugham narre son propre périple en Extrême-Orient à l’orée du siècle dernier. Au centre de ce récit, un court texte imagine la fuite d’un jeune homme, qui tente d’échapper à sa fiancée. Grand Tour reprend cette trame, mêlant les plans documentaires d’une Asie contemporaine en plein Covid-19 à la reconstitution en studio de ces pays sous puissance coloniale, sublimement éclairée par le chef-opérateur Rui Poças. Le film nous promène par deux fois dans les mêmes contrées : la première en adoptant le point de vue du fiancé manquant de courage, la seconde, celui de Molly, déterminée à lui mettre le grappin dessus.
Le motif de l’empêchement n’est pas nouveau dans le cinéma du Portugais. Dans Les Mille et Une Nuits (sa trilogie sortie en 2015), Miguel Gomes se mettait en scène en réalisateur lâche, prêt à quitter son tournage face aux difficultés. D’ailleurs, le tournage asiatique de Grand Tour a été retardé par les interdictions de voyager, si bien que le film s’est conçu à distance. On navigue dans des tableaux vaporeux, l’esprit à la dérive. Comme le premier plan dans lequel une grande roue est actionnée manuellement par des forains, Grand Tour fonctionne comme un cycle infini et renoue avec la fonction première du cinéma : être une attraction foraine.
Grand Tour, sortie le 27 novembre de Miguel Gomes, Tandem/Shellac (2 h 08)