Plutôt remake, sequel ou spin-off ?Si vous avez encore du mal à faire la différence entre un remake, une suite et un prequel, c’est le moment de vous mettre à la page, car en ce moment, c’est tout qu’il y a au cinéma. En 2024, les spectateurs ont ainsi eu le choix entre Gladiator II, vingt ans après l’original ; Beetlejuice Beetlejuice, la suite du film de Tim Burton sorti en 1988 ou encore Mean Girls, l’adaptation musicale du teen movie de 2004.
Avant la fin de l’année, ils pourront aussi découvrir Wicked (en salles le 4 décembre), la version ciné de la comédie musicale de Broadway, elle-même dérivée du Magicien d’Oz de 1939. Ou Nosferatu, une énième version de la légende de Dracula, revisitée cette fois par le cinéaste indépendant Robert Eggers, avec Lily Rose-Depp (au cinéma le 25 décembre). Côté série, même son de cloche : ces dernières années, les reboots de Gossip Girl, Pretty Little Liars et Charmed ont inondé nos écrans, souvent pour le pire. En somme, l’époque où nous allions voir un film au cinéma puis n’en entendions plus jamais parler semble définitivement révolue.
Aujourd’hui, tout ce qui a du succès semble voué à connaître une suite. Qu’il s’agisse d’une réadaptation introduisant de nouveaux personnages (reboot), de la nouvelle version d’une même histoire (remake) ou de de l’extension d’un univers vers un autre arc narratif (spin-off), tous les longs-métrages ou série populaires ont vocation à se transformer en saga. La franchise Scream, relancée en 2022 plus de dix ans après le dernier épisode original, a même innové en proposant le concept de « requel », ou remake-sequel, soit un film qui respecte la chronologie de l’œuvre-mère, mais avec de nouveaux héros.
À COURT D’INSPI ?
Si le cinéma indépendant continue de produire des films originaux, les plus gros studios hollywoodiens, eux, semblent constamment racler leurs fonds de tiroirs. Cette année, Lionsgate a ainsi annoncé la réadaptation en série de Twilight ; HBO, celle de Harry Potter. Et Amazon, celle du très attendu La Revanche d’une blonde (Legally Blonde). Star Wars et Indiana Jones, des sagas datant des années 1980, sont encore en cours, et Disney s’est lancé dans la version CGI, cette nouvelle forme d’animation 3D ultra réaliste, de ses classiques d’animation.
Côté critique, et chez les puristes qui dénoncent des remakes tièdes, les réadaptations convainquent rarement (« Plantez un couteau dans cette franchise », suppliait ainsi Los Angeles Magazine à propos de Scream 6). Hollywood, pourtant, s’entête à réanimer des films vieux de plusieurs décennies, et l’on en vient à se demander : les scénaristes sont-ils encore capables d’inventer une histoire neuve ? En tout cas, si le phénomène des remakes est particulièrement visible depuis quelques années, l’industrie cinématographique a en réalité toujours adoré remettre ses classiques au goût du jour.
UNE VIEILLE HISTOIRE
Certains de nos films préférés sont déjà des remakes : Freaky Friday, dont la suite a été annoncée cette année, revisite en fait un film du même nom datant de 1976. D’autres grands classiques hollywoodiens semblent quant à eux nés pour être réadaptés, comme A Star is Born, qui a connu quatre versions depuis 1937. Sans oublier que dans certains genres cinématographiques, comme le film d’horreur, la suite est carrément une tradition à laquelle on ne déroge pas. Que serait Halloween sans le labyrinthe de ses douze épisodes suivants ?
Selon Kathleen Loock,autrice de l’ouvrage Hollywood Remaking. How Film Remakes, Sequels, and Franchises Shape Industry and Culture,le phénomène des remakes fait en réalité partie d’une stratégie assumée de la part des studios, qui ont bien compris que la mode était un éternel recommencement. Pour Loock, ce fonctionnement est l’un des piliers fondamentaux de l’industrie hollywoodienne, en ce qu’il lui permet d’écrire continuellement sa propre histoire, très linéaire, et d’inscrire ses productions dans un récit qui fait sens.
Et, cela va sans dire, c’est une tactique plutôt juteuse. « Hollywood transformerait n’importe quoi en franchise pourvu que ça lui rapporte de l’argent », écrivait en 2016 la journaliste Hannah Ewens dans Vice. Pour les studios, les suites sont en effet une source de revenus sans fin et facile – le succès au box-office étant systématiquement garanti par la curiosité des fans. « Sans aucun doute, les remakes de Hollywood (…) ont toujours été et continuent d’être une entreprise commerciale », écrit Loock. Selon elle, c’est même ce qui a permis aux studios de survivre économiquement. Et alors que les salles de cinéma en France et aux Etats-Unis peinent à attirer autant de spectateurs qu’avant le Covid, force est de constater que la sécurité semble être au cœur des préoccupations de l’industrie.
Malgré tout, le besoin de laisser la place à de nouveaux scénarios et à de nouveaux créateurs se fait sentir, alors que les plus grosses productions sont encore majoritairement imaginées par des hommes blancs (80,5% des cinéastes en 2023 selon une étude de l’université de Californie du Sud). Un panel peu diversifié et peu en prise avec les enjeux d’aujourd’hui, qui pourrait expliquer la nostalgie de l’industrie pour un passé révolu. Simran Hans, journaliste pour Dazed Digital, s’interroge : « Dans une période d’urgence politique (…) pourquoi ne réussissons-nous pas à regarder notre présent sans les lunettes déformantes de franchises déjà existantes ? »
RETOURS GAGNANTS
Parfois, le remake parvient néanmoins à faire mouche. La version de 2021 de West Side Story a par exemple permis de caster des acteurs latinos, là où Robert Wise avait maquillé les siens pour rendre leur peau plus foncée. Idem pour le remake de La Petite Sirène, qui a choisi l’actrice afro-américaine Halle Bailey pour interpréter Ariel, offrant aux jeunes téléspectatrices noires une représentation inédite. Ces œuvres dépoussièrent aussi la mise en scène originale, voire lui donnent un coup d’éclat. « La technologie a beaucoup changé depuis 1961», expliquait ainsi Janusz Kamínski, chef opérateur du nouveau West Side Story, dans un article publié sur le site de Kodak en février 2022. « Nous voulions amener une énergie plus moderne, plus active à la façon dont la caméra bouge. »
À lire aussi : West Side Story, le jeu des 7 différences entre les deux adaptations de l’oeuvre culte de Broadway
Avec son casting alléchant (Ariana Grande, Michelle Yeoh, Cynthia Erivo, Jonathan Bailey…), Wicked, quant à lui, est déjà décrit par Chris Murphy de Vanity Fair US comme la « meilleure comédie musicale depuis Chicago», et est pressenti pour les Oscars. Toutes les suites ne sont donc pas à jeter – en témoigne la préférence des fans pour les deuxièmes épisodes du Parrain et de Shrek. Néanmoins, les meilleures restent peut-être celles qui comprennent que toutes les bonnes choses ont une fin. Hollywood saura-t-il un jour en tirer des leçons ? Dans un contexte socio-économique angoissant, où la tentation de se réfugier dans le passé est plus forte que jamais, rien n’est moins sûr.
: Gladiator II de Ridley Scott (Paramount Pictures, 2h28), sortie le 13 novembre
: Wicked de Jon M. Chu (Universal Pictures, 2h40), sortie le 4 décembre
: Nosferatu de Robert Eggers (2h13), sortie le 25 décembre