En 1927, le cinéma bascule dans l’ère du parlant avec Le Chanteur de jazz d’Alan Crosland. Comme beaucoup de vedettes du muet, Chaplin n’est pas enthousiaste. Il a conscience que son personnage risque de perdre son identité – et son pouvoir de fascination mondiale – s’il se met à donner de la voix. Les Lumières de la ville sera donc une «comédie romantique en pantomime», agrémentée de musique synchronisée (la première signée Chaplin) et de quelques bruitages. Son intention est palpable dans la première scène du film: démontrer la pertinence intacte de son art face aux «bavardages» à la mode. Devant une foule compacte, des dignitaires inaugurent un monument. Ils se relaient à la tribune, mais leurs paroles sont remplacées par les sons nasillards d’un mirliton. Une manière simple (et hilarante) de railler la vacuité des puissants, mais aussi de brocarder ce nouveau cinéma qui – littéralement – parle pour ne rien dire.
Lorsque le monument est dévoilé, on aperçoit Charlot, vagabond de son (éternel) état, endormi sur les genoux de la statue centrale. Il bâille, s’étire et se réveille sans se soucier des spectateurs. En bas, les autorités le somment de descendre à grands cris (inaudibles). En haut, lui en profite pour livrer sa première leçon de comédie physique: il accroche son pantalon à l’épée d’une statue, s’installe sur une autre pour faire son lacet, tente en vain de garder l’équilibre pendant l’hymne national. Si ce monument ridicule symbolise l’avènement du cinéma parlant, Chaplin est le corps indiscipliné qui vient gâcher la fête. Une fois ce principe posé, il peut enchaîner les numéros burlesques d’anthologie (la boîte de nuit, le sifflet, le combat de boxe) et les scènes de mélo, avant de nous briser le cœur dans le plus beau final de l’histoire du cinéma. Sans prononcer un traître mot.
Rétrospective Charlie Chaplin (dix longs métrages et un programme de trois courts), dès le 10 juillet.