Au mitan des années 1990, Paul Verhoeven est au sommet de sa gloire. Chacune de ses entreprises de subversion s’est révélé un énorme succès au box-office (RoboCop, Total Recall, Basic Instinct). Hollywood marche sur la tête, et rien ne semble pouvoir stopper celui qu’on surnomme le Hollandais violent. Rien sauf Showgirls, le film de l’excès d’excès, victime d’une lapidation symptomatique de la méprise qui réglait le rapport du cinéaste au public, aux critiques et aux argentiers. Le film s’appuie sur l’un des scripts les plus rabâchés et sexistes de l’usine à rêves : une danseuse un peu cruche part à Las Vegas pour devenir une star. La méthode Verhoeven : pousser tous les potars dans le rouge pour surligner la violence anti-érotique de cet érotisme de masse – tiens, une critique mal déguisée de Hollywood. Quitte à provoquer la nausée par son accumulation de couleur, de musique, de mouvement, de nudité crue et de numéros d’acteurs outranciers. La première grosse provoc a lieu quand la danseuse vedette, Cristal (Gina Gershon), et son producteur-amant, Zack (Kyle MacLachlan), arrivent dans le strip club où l’héroïne, Nomi (Elizabeth Berkley), se contorsionne, faute de mieux. Pour humilier Nomi, Cristal propose à Zack de « lui offrir » cette sublime Bécassine. Dans le salon privé, la caméra de Verhoeven épouse le regard des exploitants, pour mieux révéler le pouvoir de l’exploitée, qui se livre à une lap dance torride. Ce sont leurs yeux qui la dévorent en champ-contrechamp, mais c’est son corps à elle qui dirige la cadence et le cadre, dévoilant un angle mort du rapport de domination. « Tu peux encore marcher ? » demande Cristal à Zack à la fin du show… Un film à redécouvrir comme objet théorique, ou pour le plaisir de voir l’agent Cooper (Twin Peaks) éjaculer dans son pantalon avec un sourire béat.