La Mostra de Venise est le premier grand festival à rouvrir ses portes. Avant que le palmarès ne soit dévoilé le 12 septembre prochain, et alors que le festival se poursuit jusqu’à cette date, on est allé prendre la température de l’événement. Et force est de constater que les meilleurs films, pour la plupart situés en marge de la compétition officielle, étaient aussi les plus rebelles.
Si les strictes mesures sanitaires observées par la Mostra de Venise ont pu gâcher la fête, la fadeur globale de sa sélection n’a pas franchement arrangé les choses. Quelques films, hors-compétition officielle, ont pourtant su faire preuve de fulgurances en bravant la léthargie de la compétition par le rire.
TROIS IRRÉDUCTIBLES
À ce jeu-là, Mandibules de Quentin Dupieux, hors compétition, a même fait des prouesses. Son film était d’autant plus rayonnant que sa persistance à simplifier ses récits déploie tout leur potentiel comique. Donnez-lui la trame la plus absurde (un paumé parle à son blouson, deux benêts veulent apprivoiser un insecte), il lui donnera du sens. Donnez-lui une grosse mouche en carton-pâte, il en fera ce qu’il y a de plus excitant – et de loin. Son goût de la double lecture, s’il ne s’est pas éteint, s’exprime différemment. La force du film ne réside pas dans des situations originales, finalement déjà vues dans le registre comique, mais précisément dans la parodie bouffonne de ces gags éculés – le check cocasse échangé jusqu’à indigestion par ses deux losers en est la parfaite illustration. Tout comme on rit moins du rôle de foldingue d’Adèle Exarchopoulos que de la performance de l’actrice elle-même, à contre-emploi total.
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On a retrouvé de cette fraîcheur parodique chez l’iconoclaste Bruce LaBruce, qui concourait dans la sélection Venice Days avec Saint-Narcisse. Revisitant le mythe de Narcisse avec piquant, le film évoque la rencontre entre un jeune homme obsédé par sa beauté et son jumeau caché, victime de sévices sexuels dans un monastère – tous deux interprétés par le même acteur, Félix-Antoine Duval. Dans la continuité de The Misandrists (2017), le cinéaste use du pastiche – il rend ici hommage à l’homoérotisme antique du Sebastiane de Derek Jarman, sur le martyr Saint-Sébastien – et d’un humour que ne renierait pas John Waters pour traiter de sujets aussi lourds que l’inceste et l’abandon maternel.
Face à la ringardise de films aux prétentions naturalistes auteurisantes, il était d’autant plus réconfortant de voir un cinéaste assumer à ce point la série B, sans jamais craindre ni de son extravagance romanesque ni de ses traditionnelles maladresses. Pedro Almodóvar, lui, a pleinement assumé le formalisme pour La Voix humaine (lire notre critique ici) qui, malgré ses trente minutes, était sans doute le film le plus attendu du festival – et l’occasion, pour Tilda Swinton, d’investir les obsessions du maître espagnol.
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Le court métrage, s’il a aussi sa part de drôlerie, joue surtout sur l’artifice à toutes les strates, du décor ultra théâtral au travestissement littéral de son actrice en muse almodovarienne. Sous toutes ces surcouches stylisées, pourtant, une émotion pure affleure plus que nulle part ailleurs : c’est que la sincérité du cinéaste, l’amour qu’il porte au texte de Jean Cocteau comme à celle qu’il filme n’y résistent pas.
À L’EST, DU NOUVEAU
Au-delà de ce podium de cinéastes culte, il faut aussi noter la force d’inspiration de ceux venus d’Europe de l’Est, cette fois en compétition. On pense d’abord à la Bosnienne Jasmila Žbanić qui, avec Quo Vadis, Aida?, récit d’une traductrice dans le chaos du massacre de Srebrenica, parvient tant à moderniser le film de guerre qu’à en tirer une bouleversante héroïne tragique – inoubliable Jasna Đuričić. Puis au Hongrois Kornél Mundruczó et son premier film américain Pieces of a Woman, produit par Martin Scorsese, contant le délitement d’un couple – porté par les impeccables Shia LaBeouf et Vanessa Kirby – suite au décès de leur nouveau-né avec une belle ampleur intimiste.