Avec The King of Staten Island (en salles le 22 juillet), ode touchante et semi-autobiographique aux losers, Judd Apatow remet en jeu sa couronne de roi de la comédie états-unienne. À l’occasion, on vous propose de relire cette interview réalisée pour la sortie de 40 ans – Mode d’emploi.
Comédien de stand-up avorté, fan des Monty Python et de Lenny Bruce, Apatow a commencé par écrire des blagues pour la télé. Il en a conservé une méthode de travail, affinée au fur et à mesure qu’il multiplie les casquettes de scénariste, cinéaste ou producteur : romancer ses expériences intimes. Aujourd’hui, cela signifie mettre en scène sa propre famille en plus de sa famille artistique, avec qui il a renouvelé le genre de la comédie : Seth Rogen, Adam McKay, Will Ferrell ou la nouvelle recrue Lena Dunham. Le rire potache et pétaradant d’Apatow dissimule une finesse du trait où l’ars comica est un humanisme qui permet d’adoucir les mœurs. L’harmonie entre pochades et inquiétudes y permet au moins de trouver du réconfort, à défaut d’un âge de raison.
Qu’est ce qui vous a inspiré pour écrire 40 ans – Mode d’emploi ?
J’ai commencé à écrire le scénario à 42 ans. Je voulais raconter l’histoire d’une famille et parler de quelqu’un qui ait le même âge que moi. Mais je ne voulais pas filmer une « tranche de vie », je savais qu’il fallait un événement qui unifie le tout. J’ai choisi le moment où le couple a 40 ans et où il se met à tout remettre en cause, à tenter de faire en sorte que la vie fonctionne mieux et finalement à tout déballer, à devenir dingue.
Comment travaillez-vous une fois sur le plateau ?
La chose la plus importante, c’est les répétitions. Dès que j’ai un premier brouillon, qui normalement ne vaut pas grand-chose, je convoque les acteurs, on fait des lectures à voix haute, on a de longues conversations sur ce que j’ai voulu dire, ce que je devrais ajouter. Je me souviens que c’est Paul (Rudd – ndlr) qui m’a suggéré d’écrire la scène où les deux mecs parlent des différentes manières de tuer leur femme. Quand on arrive au moment du tournage, j’ai des dizaines d’idées et de possibilités différentes et je les tourne toutes. Je me dis : « Eh ! Megan Fox avait parlé de “sextrologie” pendant les répètes, il faut tourner ça ! »
Diriez-vous que vous avez besoin d’une ambiance amicale et familiale pendant le tournage ?
Il faut trouver des gens qui puissent travailler en symbiose. Par exemple, Leslie (Mann, la femme de Judd Apatow – ndlr) et Paul jouent un couple, donc ils doivent beaucoup s’aimer et beaucoup s’énerver dans la vraie vie. C’est ce qui les aide à comprendre pourquoi ils sont un couple à la fois réussi et raté dans le film. C’est la même chose avec Iris et Maude (les filles d’Apatow, également actrices dans le film – ndlr), qui sont très drôles dans le film lorsqu’elles se chamaillent mais qui jouent quelque chose qui existe aussi hors du plateau.
Comment avez-vous pensé la mise en scène de 40 ans – Mode d’emploi ?
Jusqu’à présent, j’ai toujours pensé à une mise en scène qui s’efface devant l’histoire, comme chez Alexander Payne ou dans les premiers films de Hal Ashby. Je ne pense pas que la stylisation visuelle servirait mes films. Je veux que le spectateur ait l’impression de passer sa tête par la porte et de regarder les personnages vivre. L’émotion passe par eux, pas par la caméra.
Vos films sont presque toujours des récits d’apprentissage, que les héros aient 16 ou 40 ans…
Parce qu’on essaye toujours de comprendre ce qu’on fait là ! Tous les rôles qu’on endosse dans la vie, enfant, parent, époux, sont compliqués à gérer. Les gens trop à l’aise, je trouve ça louche. D’ailleurs, je pensais que mes amis allaient trouver 40 ans… exagéré, mais la plupart m’ont confié avoir vécu presque toutes les situations que je décris.
Il y a toujours eu des éléments tragiques dans vos films, mais pensez-vous faire un cinéma plus angoissé avec l’âge ?
Je dirai que même à l’époque de Freaks & Geeks, ce que le public appréciait dans la série, c’était le côté angoissé et névrotique. On avait dressé un portrait réaliste de jeunes qui ne vont pas forcément réussir dans la vie. Je pense au personnage joué par Jason Siegel, qui rêve de devenir batteur ; il passe une audition, et on prend conscience qu’il n’est pas doué, qu’il ne réussira jamais. J’aime bien être dans cet espace où les choses sont très honnêtes, je ne fais pas des films plein de joie où le mec séduit la fille à tous les coups.
Dans vos récents films, pourtant, le geek réussit à séduire la jolie fille…
C’est parce que c’est ce qui m’est arrivé ! (rires) Mais lorsque j’étais ado, ce n’était pas cool d’être un geek. J’aimais les acteurs de stand-up, les bandes dessinées et les Monty Python et je ne pouvais partager ça avec personne, même pas avec un groupe de geeks. Maintenant, c’est différent, les jeunes un peu étranges comme je l’étais ne sont plus considérés comme des losers. Bill Gates et Steve Jobs sont passés par là, et le mec cool, ce n’est plus forcément le capitaine de l’équipe de foot.
Parlons un peu de formation : le stand-up et les comedy clubs sont-ils toujours la meilleure manière pour de jeunes comédiens de se faire connaître ?
Il y a toujours des clubs d’improvisation comme la Upright Citizens Brigade à Chicago ou Second City à New York. Mais beaucoup de talents émergent en tournant des vidéos. Quand j’étais jeune, la technologie n’existait pas, les gens ne pouvaient pas voir facilement ce que vous faisiez. Maintenant, je travaille avec le site humoristique Funny or Die : si elle est génialement drôle, une vidéo peut recevoir un million de clics. Les jeunes gens créatifs n’ont plus d’excuse pour ne pas se lancer. Just do it! Comme Lena Dunham, qui a fait un très beau premier film pour 45 000 dollars (Tiny Furniture, 2010 – ndlr).
Comment expliquez-vous la popularité croissante de la comédie à partir des années 1980 ?
Il y a eu un boom des comedy clubs, relayé ensuite par des stars de la télé comme Bill Cosby. Le câble et HBO ont bouleversé tout ça : plus besoin que quarante millions de téléspectateurs apprécient votre série pour qu’elle soit renouvelée, on peut avoir du succès avec un million de gens. D’où la chaîne Adult Swim, Childrens Hospital, Delocated, qui sont des sitcoms très bizarres, parfois de 10 ou 12 minutes.
Seriez-vous tenté de revenir à la télé après l’annulation de vos séries Freaks & Geeks et Les Années campus ?
Je produis la série Girls sur HBO, je m’amuse bien, j’essaye d’écrire de plus en plus d’épisodes avec Lena Dunham. Cela me donne envie de refaire de la télé… Quand on fait une série, on n’a pas besoin de trouver de fin, on peut terminer sur une note étrange et prolonger la réflexion à l’épisode suivant. Alors qu’au cinéma il faut apprendre à conclure.
D’ailleurs, vos films sont plus longs que les standards de la comédie hollywoodienne, pourquoi ?
Je ne sais pas si je vais revoir mes personnages un jour, alors je me dis : pourquoi ne faire que quatre-vingt-dix minutes avec George Simmons (le personnage joué par Adam Sandler dans Funny People – ndlr) ? Les gens ont du mal à se concentrer longtemps aujourd’hui, mais cela me donne justement envie de me rebeller et de faire des films de plus en plus longs !
Vous êtes influencé par les Monty Python. Selon vous, l’humour britannique s’autocensure-t-il moins que la comédie américaine ?
En Angleterre, la télévision essaye d’être créative et n’est pas considérée comme une mine d’or, ce qui est sain. L’acteur irlandais Chris O’Dowd (qui joue dans 40 ans – Mode d’emploi – ndlr) a créé une sitcom très drôle, Moone Boy.L’Amérique commence à s’inspirer du modèle britannique avec des séries tordues comme Kenny Powers.
Concevez-vous la comédie plutôt comme un travail de groupe ou comme une activité solitaire ?
Il m’arrive de vouloir être seul pendant des mois pour décider de ce que je veux faire, et ensuite je suis tout excité de commencer le travail avec les comédiens. Pour SuperGrave, nous avons travaillé en groupe pendant des années avant que le film ne voie le jour. J’essaye de faire en sorte qu’on se sente en famille aussi vite que possible.
Pensez-vous faire une comédie sur les vieux un jour, ou ce genre concerne-t-il plutôt les jeunes ?
Non, je ne pense pas que la comédie soit réservée à la jeunesse. Tout mes amis se font vieux, même Jim Carrey. J’y pense pas mal, je me demande quel sera le film à faire avec Ben Stiller lorsqu’il aura 60 ans. Ce que j’aime, c’est créer à partir de ce que je vis sur le moment. Dans six ans, je risque d’écrire quelque chose comme : « Que faire quand sa fille veut épouser un con ? »