If I Had a Heart par Fever Ray (2008)
A-t-il seulement un cœur, ce Laurence Alia, pour flinguer ainsi le bonheur qu’il partage avec la femme de sa vie, Fred ? Le duo de voix, masculine et féminine, qui sont mêlées jusqu’à se confondre sur la ballade tendue If I Had a Heart, incarne on ne peut mieux le dialogue entre les deux identités adverses du professeur de lettres joué par Melvil Poupaud. Sans cœur, Laurence ? Fred accuse le choc, mais le couple s’engage alors dans une lutte pour se préserver. C’est ce qui donne une intensité rude à cette transformation radicale : elle est tout sauf une évidence, Laurence n’est pas un marginal, un oiseau de nuit ; Fred est amoureuse de son homme, pas de cette femme en devenir. Le film s’ouvre sur l’apparent équilibre d’un tandem heureux. Las, les basses inquiètes de Fever Ray ou de Moderat (avec l’hypnotisant A New Error, 2009) disent le malaise jusqu’ici tu par Laurence. Il a du cœur, mais il ne bat pas dans la bonne poitrine. « Ça n’en finira jamais, parce que j’en veux plus (…) Si j’avais un cœur, je pourrais t’aimer », dit la chanson. L’exaspération que l’on ressent pour le projet égoïste de Laurence disparaît au profit d’une adhésion à mesure que ce choix s’impose à Fred comme une nécessité.
Pour que tu m’aimes encore par Céline Dion (1995)
Encore, pour ne pas dire toujours. Le temps est l’allié du réalisateur. Le film s’étale sur deux heures et trente-neuf minutes, à cheval sur les années 1980 et 1990. C’est long. Tant mieux. Xavier Dolan nous expliquait à Cannes – où le jury de la sélection Un certain regard a récompensé la performance de Suzanne Clément (Fred) du prix de la Meilleure interprétation féminine – que son film, s’il avait été plus ramassé, aurait viré au docufiction « sur un coupage de queue ». Laurence Anyways ne s’attarde jamais sur l’exotisme ni le cocasse du changement de sexe ou de garde-robe. La longueur est tout entière dévolue à l’interrogation de la possibilité de ce couple. « Je te jetterai des sorts pour que tu m’aimes encore », vocalise la compatriote de Dolan, à l’unisson de Laurence qui tente de retrouver les rituels, les sortilèges qui ont charmé Fred il y a dix ans. Cette scène, par exemple, où il s’introduit chez elle, dans un appartement partagé avec un nouvel homme : ils essayent tous deux de reproduire un quotidien passé. Ça déconne. Ça rigole. Des jeux amoureux qui, deux heures plus tôt, nous paraissaient insignifiants ou cuculs la praline, reviennent gonflés, mûris par une mémoire cruelle car, comme Fred et Laurence, le spectateur sait qu’il ne s’agit que d’une parenthèse. Céline aura beau varier les harmonies, transposer ses trémolos une tierce plus haute, ses efforts restent sans effet.
The Chauffeur par Duran Duran (1982)
« En plus de fournir des repères spatiotemporels nécessaires dans un film qui traverse un peu plus d’une décennie, les chansons accompagnent mes personnages en dépit de mes goûts intimes. La musique n’est pas un caprice d’artiste qui cherche à partager sa discothèque personnelle. » Xavier Dolan, qui reconnaît tout de même mettre beaucoup de lui-même dans ses films, jamais loin de l’autobiographie, a trouvé dans certains titres de cette bande-son des pendants probants à son langage cinématographique. Prenez Duran Duran, groupe new wave à l’image kitschouille à souhait, de l’aveu même de Melvil Poupaud. Leur hymne The Chauffeur n’a jamais sonné aussi juste que chez Xavier Dolan : aux tableaux hyperstylisés et ralentis du réalisateur, superbes respirations dans cette odyssée, répond la longue exposition des synthés qui vont crescendo jusqu’à l’explosion de la caisse claire. Le chant à la fois plaintif et combattant de Simon LeBon dit la détresse parfois rageuse de Laurence, comme lorsqu’il est désarçonné par la réaction étonnamment neutre de sa mère (Nathalie Baye) : « Tu veux que je réagisse comment, Laurence ? J’m’en fous ! » Les boîtes à rythmes égrenées, les arpèges à la flûte de pan, la réverbération et les delays des guitares, autant de coquetteries outrancières que l’on retrouve dans les belles manières de Dolan. S’il peut en faire des tonnes, c’est parce que c’est lourd de sens. Sans contrefaçon.
Laurence Anyways de Xavier Dolan (2h39)
avec : Melvil Poupaud, Suzanne Clément…
sortie : 18 juillet