À revoir sur Arte : « La boulangère de Monceau », court-métrage d’Eric Rohmer

Premier court-métrage de la série des Contes moraux, ce film de 22 minutes condense tout l’art de Rohmer : le goût pour les rendez-vous manqués, la fascination pour les stratégies du langage amoureux et la contingence des événements.   « Quand je dis que mes films sont des « contes moraux », cela ne doit pas être entendu dans


Premier court-métrage de la série des Contes moraux, ce film de 22 minutes condense tout l’art de Rohmer : le goût pour les rendez-vous manqués, la fascination pour les stratégies du langage amoureux et la contingence des événements.  

« Quand je dis que mes films sont des « contes moraux », cela ne doit pas être entendu dans le sens strict. Dans mes contes, il n’y a pas du tout de morale et c’est même l’inverse (…). Mes « contes moraux » sont l’histoire de personnages qui aiment bien analyser leurs pensées et leurs états d’esprit. C’est pourquoi il y a peu d’actions et beaucoup de paroles, de confidences, d’examens de conscience etc. » Personne n’a mieux défini l’art d’Éric Rohmer qu’Éric Rohmer lui-même, grand amateur de littérature et de philosophie .

La preuve avec cette interview passionnante de 1973  dans laquelle il théorisait ses Contes Moraux (1963-1972), cycle de films tout entier consacré à la quête d’amour hésitante de personnages masculins, dont les principes et le libre-arbitre sont mis à l’épreuve du hasard.

C’est avec La Boulangère de Monceau (1962) que Rohmer ouvre cette quête balzacienne. On y suit un étudiant du quartier du Parc Monceau à Paris (incarné par son ami le cinéaste Barbet Schroeder), amoureux d’une jeune femme blonde qu’il aborde avant qu’elle ne s’évapore dans la nature. Désabusé, il entreprend de séduire une boulangère, avant de l’abandonner une fois sa dulcinée revenue…

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Tourné en 16 mm dans un noir et blanc brumeux, La Boulangère de Monceau, malgré son manque de moyen évident, son amateurisme presque charmant, étonne par sa capacité à charrier différents imaginaires : il y a un peu du Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin dans la façon qu’a le cinéaste de saisir les artères secrètes de la ville, ses carrefours comme autant de points de rencontres inopinées, avec le regard aiguisé d’un ethnographe. Impossible de ne pas penser à L’Homme qui aimait les femmes (1977) de François Truffaut, qui semble avoir emprunté à Rohmer ses plans sur les jambes infinies des héroïnes, et cette idée que l’amour n’est que le pur produit d’un fantasme.

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Mais la grammaire de Rohmer, toute proche de la Nouvelle Vague soit-elle, est singulière. Chez lui, l’action toujours avortée permet de déployer des monologues introspectifs pour aller tout droit à l’âme, d’utiliser l’espace comme un labyrinthe où l’on se croise sans se rencontrer, de questionner l’angoisse suscitée par le choix et la liberté. Sous l’apparente froideur de son dispositif de mise en scène (de longs plans-séquences très fluides, des conversations précieuses) se cache une ivresse du désir, à la fois cruelle et sensuelle. En cela, La Boulangère de Monceau dessine déjà en creux les héros tourmentés des prochains épisodes des Contes Moraux : le mathématicien indécis de Ma Nuit chez Maud (Jean-Louis Trintignant), ou encore le diplomate fiancé (Jean-Claude Brialy) pris au jeu des tournoiements amoureux d’une adolescente dans Le Genou de Claire.

Léa André-Sarreau

Image: Capture d’écran Arte