Auteur de films solaires prônant la liberté et le plaisir de la rencontre (Un monde sans femme, L’Île au trésor), Guillaume Brac avait forcément des choses à dire sur l’étrange période que nous traversons. En attendant la sortie prochaine de son nouveau film, À l’abordage, il nous a raconté sa vie de confiné à Paris, mais aussi ses espoirs et ses craintes pour le monde d’après.
A vrai dire, cette crise est restée longtemps assez lointaine et abstraite pour moi. Fin février, j’ai présenté À l’abordage, mon dernier film (qui devrait sortir bientôt, ndlr), au Festival de Berlin, avec plusieurs comédiens et membres de l’équipe, ainsi que ma compagne et notre bébé d’un an qui joue dedans. Ça a été un moment extrêmement joyeux. Le film a été projeté dans des salles magnifiques, devant des centaines de spectateurs. Cela paraît presque irréel aujourd’hui, pourtant c’était il y a seulement deux mois. Rétrospectivement, ça m’apparaît comme les derniers jours d’insouciance, avant que l’épidémie ne prenne l’ampleur que l’on sait.
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Après cela, il me restait encore deux semaines de mixage dans un auditorium à Lyon. Avec le mixeur et le monteur son, nous y sommes restés, d’une certaine façon, confinés dans le noir dix heures par jour. Les échos du monde extérieur nous parvenaient un peu assourdis. Ce n’est qu’en rentrant à Paris, le jour de la première allocution présidentielle, que j’ai vraiment pris conscience que quelque chose de grave était en train de se passer. J’ai la chance d’être relativement jeune, en bonne santé et de ne pas avoir de personne gravement atteinte dans mon entourage, j’ai donc à ce jour davantage été confronté à la question du confinement qu’à la maladie elle-même. Personnellement, je ne suis pas particulièrement à plaindre, mais je pense beaucoup à celles et ceux qui sont seuls, ou qui manquent cruellement d’espace. Curieusement, je crois que c’est ça qui me touche le plus dans cette crise.
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Dans vos deux premiers films Le Naufragé et Un monde sans femmes, le personnage de Sylvain vit seul dans une station balnéaire picarde, très calme hors saison. On comprend qu’il évolue dans une sorte de confinement tout au long de l’année et que cela lui pèse.
C’est vrai que dans Le Naufragé, qui se déroule en hiver, le personnage de Sylvain est seul, presque sans possibilité de rencontre. Certes, il peut sortir de chez lui, mais les rues sont désespérément vides. Il a un tel besoin de contact humain qu’il s’accroche à un cycliste égaré comme à une bouée. Dans Un monde sans femme, j’ai vraiment voulu filmer le retour de la vie, les rues et les plages que l’on a vues désertes se remplissent…
J’ai eu le temps de repenser à plusieurs de mes films, et je m’aperçois qu’ils résonnent d’une manière assez particulière en ce moment, notamment L’Île au trésor qui est un film entièrement tourné en extérieur, sur le plaisir de la rencontre, de la flânerie, sur la façon de se créer ou de maintenir des espaces de libertés dans un monde de plus en plus contraint, qui impose de plus en plus de règles et de limites…
Avez-vous vous-même le temps de regarder des films ?
Je n’ai de vrai plaisir à voir les films que dans une salle de cinéma. Mais j’ai installé un vidéoprojecteur chez moi, ce qui nous permet, avec ma compagne, de regarder un film presque chaque soir dans des conditions pas trop mauvaises. C’est un moment très précieux dans la journée. Le premier film que j’ai revu après le début du confinement, c’est Tendres Passions (1983) de James L. Brooks. Ça a été un plaisir intense, car le film, à la fois drôle et bouleversant, offre un spectre d’émotions très large. On a le sentiment de vivre quelque chose de très plein, comme un condensé d’existence. Un autre film que j’ai revu avec un immense plaisir, c’est Travolta et moi (1993) de Patricia Mazuy. J’ai découvert aussi le très beau That’s life de Blake Edwards et l’impressionnant Phénomènes de Night Shyamalan, qui résonne de façon troublante avec la situation que nous traversons.
Comment envisagez-vous le monde de la culture, et du cinéma, après cette crise ?
Je m’inquiète pour beaucoup d’entre nous. Comment les intermittents vont-ils pouvoir vivre dans les mois qui viennent avec toutes ces tournées théâtrales, ces festivals, ces concerts et ces tournages annulés ? Avec des mesures du gouvernement qui ne sont absolument pas suffisantes pour venir en aide à tous ceux qui se retrouvent brutalement privés de revenus ? Et cela vaut évidemment pour bien d’autres secteurs que celui de la culture, pour tous les travailleurs indépendants, les intérimaires, les précaires. C’est dramatique. Pour revenir au cinéma, il y a des projets de films qui probablement ne verront jamais le jour à cause de cette crise. Quand est-ce que les salles pourront rouvrir, est-ce que les spectateurs auront toujours le même désir de s’y rendre ?
À titre personnel, mon désir de faire des films a toujours été associé à la salle de cinéma et au grand écran. Les films qui m’ont marqué dans ma vie sont presque exclusivement ceux que j’ai découverts au cinéma. L’idée que peut-être un jour les films ne soient plus vus collectivement dans les salles, c’est quelque chose qui pourrait remettre en cause mon désir de faire ce métier. Je ne sais pas combien de temps des mesures de distanciation sociales devront être respectées, combien de temps on devra porter des masques. Peut-être que c’est seulement une parenthèse qui se refermera assez vite, on peut l’espérer. Je n’ai jamais eu de projets de science-fiction, mais la période actuelle déplace les lignes du réel et de l’imaginaire. Est-ce qu’à l’avenir on sera obligés de faire une comédie romantique avec des personnages masqués, quels enjeux dramatiques peuvent être induits par le fait de devoir rester à distance l’un de l’autre ? Ça pourrait devenir des vraies questions de cinéma dans les mois qui viennent.
Je me demande de quelle manière celles et ceux qui tourneront un film cette année ou l’année prochaine intégrerontfmoteur tout cela à leur récit. Plus concrètement, pourra-t-on encore tourner sans un protocole sanitaire étouffant ? Des infirmières ou des médecins sur le plateau, des équipes masquées, des distances à respecter, des périodes de quarantaine avant le tournage… Tout cela enlève beaucoup du plaisir presque enfantin de faire du cinéma.
Quand je repense à la manière dont nous avons tourné l’été dernier À l’abordage, qui est une sorte d’éloge de la rencontre, qui débute à Paris sur les quais de la Seine, un soir d’été, au milieu de la foule, avec des gens qui dansent. Et qui se poursuit en covoiturage, avec les trois personnages principaux |incarnés par Éric Nantchouang, Salif Cissé et Edouard Sulpice ndlr.] qui descendent dans la Drôme, jusqu’à un camping grouillant de vie… Ce film, où la fiction s’ancre en permanence dans le réel, serait complètement impossible à tourner cet été. D’une certaine façon, À l’abordage pourrait devenir un document d’archive, témoignant de ce qu’était la vie, libre et insouciante, avant le coronavirus. Ou d’une certaine façon de faire des films.
Vos films se nourrissent du réel et vous vous refusez également de dissocier fermement la fiction du documentaire. Dans l’un des deux segments (Hanne et la fête nationale) de Contes de juillet, vous avez intégré l’attentat terroriste de Nice du 14 juillet 2016. Pensez-vous que cette pandémie peut et va influencer, de quelque manière que ce soit, vos prochains films ?