Paul Hirsch, monteur de légendes

En tant que monteur, vous devez vous adapter constamment : à la vision d’un réalisateur, à certains codes de genres… Est-il alors possible d’avoir un style ? Je ne pense pas vraiment à ça. J’agis selon mon instinct. Monter c’est un métier de l’interprétation. Je le compare toujours à la danse : quand la musique commence, tu te


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Paul-Hirsch

En tant que monteur, vous devez vous adapter constamment : à la vision d’un réalisateur, à certains codes de genres… Est-il alors possible d’avoir un style ?
Je ne pense pas vraiment à ça. J’agis selon mon instinct. Monter c’est un métier de l’interprétation. Je le compare toujours à la danse : quand la musique commence, tu te lèves et tu te mets à danser sans savoir où tes mouvements vont te mener. Tu réagis à ce que tu entends.

Vous êtes le monteur des deux premiers Star Wars, de plus de la moitié de la filmographie de De Palma (Phantom of the ParadiseObsessionCarrie au bal du diableBlow out, etc .),  de Footloose (Herbert Ross, 1984), de La folle journée de Ferris Bueller (John Hughes, 1986) ou de Mission Impossible : Protocole fantôme (Brad Bird, 2011)…  Quels ont été vos critères pour participer ou non à l’aventure d’un film ?
En fait, c’est plus simple de dire oui que non. Curieusement, tout au long de ma carrière, on m’a souvent proposé deux supers projets en même temps. Et, donc, je devais choisir entre deux bons films potentiels. En général, il y en avait toujours un que je préférais plus que l’autre – mais sur lesquels la production me gardait comme plan B. C’est surtout une affaire d’opportunité… Mon choix peut aussi être déterminé par la présence d’un acteur : si Al Pacino et Robert de Niro jouent ensemble, ça peut me donner envie.

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Paul Hirsch et sa femme Jane, Brian, De Palma, Marcia Lucas, Verna Bloom, Jay Cocks et Nancy Allen.


Un monteur doit être très attentif au jeu des acteurs. Vous avez monté Ray (Taylor Hackford, 2004), film pour lequel vous étiez nommé aux Oscar et pour lequel Jamie Foxx a gagné celui du Meilleur acteur…
Oui, ce qu’il faut, c’est donner un sentiment de réalité. Dans mes rushs, j’ai dix fois la même réplique prononcée d’une manière différente à chaque fois. Mon rôle, c’est de choisir la plus pertinente. Parfois, c’est un jeu de construction : on pique des bouts de phrases, des gestes succincts pour donner l’illusion de naturel. Je ne veux pas être condescendant, mais ce qu’on voit sur l’écran, c’est la compilation des meilleurs moments de l’interprétation des acteurs.

La collaboration la plus importante de votre carrière, c’est celle avec Brian De Palma. Vous avez travaillé ensemble sur 11 films. Dans les années 70, vous avez monté ces incroyables split-screens pour Carrie au bal du diableSœurs de sangPhantom of the Paradise
C’était plutôt une idée de Brian. Le problème avec le split-screen, c’est qu’il s’agit d’une technique de distanciation, on le regarde d’une façon intellectuelle mais on n’est pas engagés émotionnellement. Si l’on veut faire ressentir quelque chose au public, ça ne fonctionne pas. C’est ce qui s’est passé avec la séquence du climax de Carrie au bal du diable. On ne pouvait pas l’enlever parce qu’elle avait été pensée en split-screen lors du tournage mais, Brian et moi, on était d’accord : le montage ne marchait pas si bien. Pour la scène de la bombe dans Phantom of the Paradise, c’était un peu différent. Il s’agissait de deux prises de vue tournées en même temps synchronisées à l’aide d’un split-screen. Le problème avec cette séquence, c’est le mixage audio : il y a de la musique, des dialogues et des sons d’ambiance qui se mêlent dans une sorte de brouhaha; c’est assez décevant. Rétrospectivement, je pense qu’on n’a pas fait un bon travail là-dessus.

Comment la révolution numérique a affecté votre métier ces dernières années?
Je suis plus efficace, je travaille beaucoup plus vite. Avant je coupais 10 minutes de rushes par semaine, maintenant c’est plutôt 20, 30, même parfois 40 minutes. Chercher la bonne prise est devenu plus facile, et c’est aussi plus simple de comparer les dialogues. C’est un outil extraordinaire mais ça a aussi dévalué le respect envers les monteurs. Aujourd’hui, tout le monde peut avoir accès à un logiciel de montage et, du coup, n’importe qui peut être monteur – ça a d’ailleurs fait émerger pas mal de talents. A l’époque de la pellicule, ce n’était pas si accessible, et je pense que j’ai bénéficié d’un apprentissage qui n’existe plus aujourd’hui. Je suis arrivé au bon moment.

En général, les monteurs sont laissés dans l’ombre, les médias en parlent peu. C’est mieux comme ça ?
Ça me plait. J’aime la solitude. Certains trouvent de l’énergie quand ils sont entourés, pour d’autres c’est le contraire. Moi, je suis dans le deuxième cas. Je pense que la plupart des monteurs sont des égocentriques timides.

Votre film préféré de tous ceux que vous avez monté ?
Je ne regarde jamais mes films. Je les regarde tellement de fois au montage… Par exemple, quand j’ai fini Potins de femmes (Herbert Ross, 1989), la production a organisé une projection à Warner Bros pour un sénateur de Washington. Herbert n’était pas dispo et m’a demandé d’y aller à sa place. Je me souviens d’avoir été là, entouré de plusieurs personnes importantes, toutes assises devant l’écran quand la projection a commencé. C’était difficile pour moi. Je pensais « Si je regarde ce film en entier je vais mourir ». Donc je me suis levé, je suis sorti de la salle et j’ai attendu dans ma voiture jusqu’à la fin de la projo. Je suis habitué à regarder les films activement pendant le processus de création, quand il y a des choses à changer ou corriger. Une fois que le film est fini et que je ne peux rien changer, je n’arrive pas à me projeter comme spectateur. Quand j’ai fini mon travail, le film est mort pour moi.

A votre avis, quelles sont les qualités essentielles pour être monteur ?
Il faut être toujours concentré, écouter son instinct, réagir aux rushes de façon organique. Être dans le moment, oublier le temps qui passe, se laisser absorber… Je dis toujours que la meilleure des sensations, c’est de s’asseoir à une table de montage, se relever, et se rendre compte que 40 ans se sont passés.

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Harrison Ford, Mark Hamill, Paul Hirsch et le réalisateur Irvin Kershner au tournage de Star Wars, épisode V : L’Empire contre-attaque.