Coralie Fargeat, la revanche du genre

D’où vient ta sensibilité pour le cinéma de genre ? Mon goût de cinéma s’est vraiment construit avec le cinéma de genre. Pour moi le genre, c’est tout ce qui sort de la réalité quotidienne, les univers à la fois de SF, de fantastique, de thriller même. Star Wars, Indiana Jones… Je regardais pas mal de


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D’où vient ta sensibilité pour le cinéma de genre ?
Mon goût de cinéma s’est vraiment construit avec le cinéma de genre. Pour moi le genre, c’est tout ce qui sort de la réalité quotidienne, les univers à la fois de SF, de fantastique, de thriller même. Star Wars, Indiana Jones… Je regardais pas mal de films de genre assez violents chez mon grand-père qui nous montrait à moi et mon frère ce qu’on n’avait pas le droit de regarder à la maison. C’est comme ça que j’ai découvert les Rambo, les Robocop… Et puis après, seule, j’ai découvert Lynch, Cronenberg. J’ai commencé à vouloir faire des films assez jeune, à 16 ou 17 ans. Tout de suite, ce que je voulais, c’était créer des mondes qui n’existent pas, avec une vraie dimension d’entertainment, un vrai plaisir de spectateur. Mais c’est vrai qu’en France, c’est un cinéma vers lequel il est plus difficile d’aller.

Comment tu expliques ce blocage de la France avec le genre ?
C’est hyper complexe, je me suis beaucoup penchée sur la question. J’ai créé un collectif de réalisateurs qui s’appelle « La Squadra ». On est sept réalisateurs qui se sont rencontrés en festival, on a tous fait des courts qui marchaient bien, on voulait faire notre premier long, et on avait tous des envies qui tournaient autour du genre mais on se rendait compte que c’était compliqué. On invite des gens du métier à venir nous rencontrer et ils nous expliquent très concrètement comment ils travaillent, ils nous donnent leur expertise. C’est une vraie piqûre de réalité : comment fonctionne le marché français ? Pourquoi certains films se montent, et d’autres non ? Et en fait je pense que l’endroit où ça bloque vraiment maintenant, c’est la distribution. Après je pense aussi qu’il y a une exigence du public pour ce registre-là, parce que les Américains sont très forts. Mais ce qui est bien aujourd’hui, c’est que les lignes se remettent à bouger, je pense qu’il y a toute une génération qui était fan de ce genre de films dans leur adolescence qui commence à arriver aux commandes dans les chaines, chez les distributeurs, les producteurs. Ça bouge aussi grâce aux nouvelles plateformes comme Netflix ou Amazon, et puis par le biais de la télé aussi, avec le succès des Revenants par exemple. Et je me réjouis aussi du succès du film de Julia Ducournau, Grave.

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Le « rape and revenge » est un genre très ancré dans les années 1970. Pourquoi en faire un aujourd’hui ?
En fait le rape and revenge c’est un genre que je n’ai pas du tout regardé, le seul que j’ai vu c’est La Dernière Maison sur la gauche de Wes Craven. Ce qui m’intéressait, c’était plutôt le revenge movie, comme Kill Bill, Mad Max, Rambo, avec un personnage qui au début du film est enfoncé et écrasé et qui finit par sortir de lui-même dans une vraie renaissance, une affirmation de soi. C’était ça, allié à un personnage féminin fort.

Justement, comment as-tu pensé l’évolution de l’héroïne ?
Elle est d’abord rangée dans une certaine catégorie de filles sur lesquelles on projette beaucoup de choses, par le fait qu’elle soit sexy, qu’elle s’assume complètement, qu’elle joue de son pouvoir de séduction. Elle vit une transformation totale, d’un personnage qui attend d’être regardé, valorisé, qui du coup se retrouve enfermé dans un truc très réducteur et qui va se libérer complètement de ça. Quand elle est empalée sur l’arbre et qu’elle se libère, il y a cette idée de renaissance.

Comment as-tu abordé la question de la représentation du viol dans le film ?
À l’écriture, le viol est venu comme la cristallisation symbolique de toutes les violences faites contre les femmes, qu’elles soient sexuelles, verbales, psychologiques. La scène devait dire franchement cette violence, mais je ne voulais évidemment pas être dans le voyeurisme. Du coup, la violence est davantage symbolisée par le type qui regarde sans intervenir et qui croque dans son bonbon, puis qui monte le son de la télé pour ne pas l’entendre crier. C’est le viol qui déclenche sa mue, elle va trouver en elle-même les ressources pour assouvir sa vengeance.

En général le regard sur le viol est très ambigu dans les rape and revenge, pas loin du voyeurisme justement.
Exactement. Et je ne voulais pas non plus d’un personnage féminin qui crie – à part le moment où elle se retire le pieu qui est planté dans son bide, elle ne crie pas. Dans les représentations habituelles du cinéma d’horreur, il y a quelque chose d’une jouissance malsaine dans le fait de voir les personnages féminins hurler. C’est facile de torturer un personnage, et ce n’est pas du tout vers ça que je voulais aller.

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Parlons de la géniale scène de course poursuite dans un couloir, qui va rester dans les annales. Elle dure combien de temps ?
Elle dure… Le plan juste avant, qui est le plan séquence quand il la cherche mais ne la voit pas encore, dure déjà bien 6 minutes. Et la poursuite en elle-même doit faire plus de 10 minutes.

Comment cette scène est née ?
Plus j’avançais sur le scénario, plus je me disais : « De toutes façons, les gros trucs, les cascades, ont déjà été fait 1000 fois par les Américains, et magnifiquement. » Donc je suis allée vers un dénuement extrême : en gros, ils ont deux flingues, un couloir et voilà, ils se courent après. Imaginer une course-poursuite dans un endroit très contenu, c’était un défi de mise en scène : plus ça allait être simple dans l’idée de base, et plus la mise en scène pouvait être forte. On n’a pas besoin de 10000 artifices et péripéties : un film qui m’a beaucoup inspirée, c’est Duel de Steven Spielberg. C’est une voiture, un camion dont on ne voit jamais le chauffer, et c’est tout, il te tient en haleine avec ça. L’autre élément-clé de la scène du couloir, c’est la nudité du mec. J’avais été énormément marquée dans Les Promesses de l’ombre de Cronenberg par la scène de combat dans les bains turcs, où Viggo Mortensen est à poil. C’était aussi pour moi un moyen très symbolique de débarrasser l’homme de tous ses apparats de domination, ses flingues, ses moteurs, et de voir éclater sa rage.

La scène est très découpée. Tu avais un découpage précis avant d’arriver sur le tournage ?
À la louche, on a tourné une cinquantaine de plans pour cette scène, sur trois jours. Tout était décidé en avance, et d’ailleurs c’est moi qui l’ai montée entièrement. Mais très sincèrement, tourner cette scène dans ce couloir rempli de sang, où tout le monde collait, glissait, c’était un enfer. En plus, il n’y avait que moi qui savait ce que je tournais, je disais « à gauche ! à droite ! », et plus personne ne comprenait ce que je faisais. Sur un plateau, quand le film repose beaucoup sur la mise en scène, sur des dispositifs assez spécifiques, au bout d’un moment il n’y a plus que le réalisateur qui sait ce qu’il fait. Donc il faut que l’équipe derrière te fasse confiance et te suive… C’est vraiment une scène de trip, un truc un peu fou.

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Autre scène marquante : celle où l’héroïne s’enlève le pieu qu’elle a dans le ventre puis cautérise la plaie avec une canette de bière mexicaine passée sur le feu. On est presque dans une parodie.
On navigue toujours entre les deux… C’est vraiment ça qui me plait dans le cinéma de genre. Ce qui m’a plu dans les films de Robert Rodriguez, dans le cinéma sud-coréen aussi, c’est l’outrance, une jouissance à en faire des caisses qui devient presque grand guignol, et qui amène quelque chose de complètement absurde. Ça peut faire marrer, mais pour moi ça part toujours d’une intention premier degré. Dans cette scène, elle a un trou dans le ventre, elle se vide de son sang, il faut qu’elle trouve un moyen de sauver sa peau, de se cautériser, et elle ne trouve que cette canette, avec un aigle dessiné dessus – un phœnix. Ensuite, quand elle se réveille, hé ben elle a un putain d’aigle de canette mexicaine gravé sur le ventre.

Pourquoi le film est-il tourné en plusieurs langues ?
Tout simplement pour pouvoir le monter financièrement ! En France, quand tu arrives avec un film de genre, n’importe quel producteur te dit tout de suite : « Il faut le faire en anglais. » Moi je suis française, et je voulais vraiment faire mon premier film en français. Mais on s’est rendu compte qu’on n’arrivait pas, dans ce cadre-là,  à réunir le budget. On a tout tenté, et puis à un moment on s’est retrouvés face à la réalité : on n’avait pas les thunes qu’il faut. Donc on s’est dit : « Ok, on va le faire en anglais ». Mais aux Etats-Unis, où mes agents m’avaient mise en relation avec la crème des producteurs, ceux qui ont fait Drive, ça a été la même chose : un grand intérêt pour le projet, mais comme on n’avait pas un gros cast, impossible de réunir la somme qu’il fallait. Vu qu’on avait fait le casting à la fois en France et aux USA, on s’est dit : « Pourquoi on n’essaye pas de mélanger les langues ? ». Ça nous a semblé à la fois assez cohérent avec l’histoire, et surtout, ça nous permettait de combiner les avantages des deux systèmes de financement, de rester un film français, d’avoir le Crédit d’impot, le Sofica, Canal Plus… Tout en maximisant la valeur internationale du film.

Quelle est la suite pour toi ?
En fait, le film a eu une énorme résonance à l’étranger, on a commencé à la Midnight Madness de Toronto qui est un peu le graal du film de genre, puis on a fait le Fantastic Fest d’Austin, et on est sélectionnés à Sundance à la fin du mois, il y a un vrai engouement à l’international… Le film est vendu dans tous les pays, notamment aux États-Unis, et c’est vrai que j’ai été ultra sollicitée par les Américains, qui sont très friands de cinéma de genre. Il y a plein de ponts qui commencent à s’abaisser, beaucoup de propositions, donc je vais voir.

Tu vas nous faire le prochain Star Wars ?
Bah écoute (rires) Justement, les Américains sont vite dans cette folie-là, de te proposer des trucs fous… Donc après il faut que ça raisonne avec mes envies. On sait très bien que là-bas, c’est une manière différente de faire les films. Moi c’est vraiment un cinéma et une industrie que j’aime, mais j’ai envie d’y aller avec mon univers. Et puis je relance un projet d’écriture, qui sera aussi un film avec des éléments de genre, même si totalement différent de Revenge. Bref tout ça est en train de s’assembler mais c’est réjouissant ce qui se passe, ça ouvre plein de portes qui auraient sans doute été vraiment dures à ouvrir autrement. Donc la suite au prochain épisode !

Revenge de Coralie Fargeat
Rezo films (1h48)
Sortie le 7 février