Alors que les autres blockbusters hollywoodiens prévus cet été ont vu leur sortie repoussée en raison de la crise du Covid-19, Tenet, qui sort le 26 août, cristallise tous les espoirs des exploitants de salles. Explications avec Bertrand Roger, programmateur des cinémas mk2*.
Voilà plusieurs mois que Tenet se trouve au coeur des discussions cinématographiques. Après la fermeture mondiale des salles, le confinement puis les reports de tous les autres blockbusters estivaux d’envergure, le onzième film de Christopher Nolan apparaît en effet comme l’œuvre la plus apte à faire revenir un large public en salles. Top Gun 2 ayant été repoussé à juillet 2021, Mulan s’apprêtant à sortir directement sur la plateforme SVOD Disney+ et le nouveau 007 n’étant daté qu’au 11 novembre, Tenet focalise toute l’attention sur lui. Si le film a plusieurs fois changé de date de sortie, il arrivera enfin dans les salles françaises le 26 août – mais devra attendre le 3 septembre pour sortir dans les quelques salles qui seront ouvertes aux États–Unis.
Le synopsis cultive le mystère : « Muni d’un seul mot – Tenet – et décidé à se battre pour sauver le monde, notre protagoniste sillonne l’univers crépusculaire de l’espionnage international. Sa mission le projettera dans une dimension qui dépasse le temps. Pourtant, il ne s’agit pas d’un voyage dans le temps mais d’un renversement temporel… ». Pourquoi une telle attente autour du film, dont le scénario évoque en partie celui d’Inception ? « Le marché ne peut évidemment pas dépendre d’un seul film mais, parce qu’il y a eu très peu de productions hollywoodiennes cet été, Tenet a un fort caractère évènementiel », explique Bertrand Roger, programmateur des cinémas mk2. « Nolan a lui-même surfé sur l’idée que son film allait dynamiter le peu de box-office actuel et donner aux salles un nouvel essor. Il n’hésite pas à se présenter comme un sauveur, probablement aussi en référence au contenu de Tenet. »
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De fait, la communication du film s’appuie beaucoup sur la notion de sauvetage. Si la première bande-annonce (révélée en décembre 2019) parlait surtout de l’« au-delà » et de la nécessité de voir le monde autrement, la deuxième bande-annonce de Tenet, dévoilée fin mai alors que les salles mondiales étaient fermées, joue davantage sur le contexte de crise planétaire.
Les dialogues parlent d’eux-mêmes, faisant du palindrome « Tenet » un sésame : « Je n’ai à vous donner qu’un mot : Tenet. Il ouvre les bonnes portes et aussi les mauvaises. » Chaque phrase choisie semble faire écho à une opération visant à secourir une industrie cinématographique en péril : « Pour bien faire, il me faut une idée de la menace (…) Ça transcende l’intérêt national. Question de survie (…) Ça paraît osé. (…) Des gens du futur ont besoin de nous. Besoin de Tenet. Sauvons-les ici et maintenant. »
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Alors que certaines voix se demandent si le studio Warner ne prend pas un risque en sortant Tenet à cette période, Bertrand Roger est lui formel. « Même si le budget de 200 millions de dollars ne sera pas forcément rentabilisé immédiatement, la Warner sait qu’elle tient là un objet rare et que chacun aura à un moment ou un autre la curiosité de se confronter à cette œuvre annoncée comme complexe. Le film va attirer un public « gamer » car le cinéma de Nolan, dans lequel une chose peut arriver en différents endroits au même moment, a une dimension vidéoludique ; et il attirera aussi un public cinéphile qui apprécie le fait que Nolan ait une approche assez réaliste de l’action où les effets numériques sont limités. Et c’est vraiment en salle que la connexion avec le projet de Nolan prendra son sens pour toutes les personnes qui seront plongées dans le noir ».
L’aspect de film-locomotive, apte à mettre en lumière d’autres sorties, est aussi à prendre en compte. « Il y a beaucoup de films au cinéma en ce moment. Effacer l’historique, de Gustave Kervern et Benoît Delépine, qui sort le même jour et qui s’avère pour le coup assez franco-français puisqu’il tourne autour du mouvement des Gilets jaunes, aura ainsi son importance. Et Tenet pourrait bien être une locomotive pour les multiplexes car c’est en général là que vous allez voir un tel blockbuster et cela donne parfois envie de revenir le lendemain pour un autre film. Tenet ne sera de toute façon pas seulement projeté dans les multiplexes car tous les exploitants de France ont demandé à avoir accès au film. »
Atout ultime du film : son casting. « Robert Pattinson et John David Washington sont des acteurs très modernes qui apportent une complexité plus friable, quelque chose de moins palpable que chez certains de leurs aînés. » D’autant que s’ajoute à ce duo Elizabeth Debicki, actrice dont on vient d’apprendre qu’elle allait incarner la princesse Diana dans la série The Crown. « Nolan a en plus choisi comme monteuse Jennifer Lame, qui a monté Manchester by the Sea et Frances Ha, des films très psychologiques. Le cinéma est une aventure collective et voir le cinéaste travailler avec cette spécialiste de l’intimisme pour un blockbuster de science-fiction fait très envie. On est dans ce croisement purement nolanien, atypique et audacieux.»
*société éditrice de TroisCouleurs
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