Dans ses cauchemars, Ben se fait poursuivre pas des loups terrifiants. Pas étonnant que le gosse soit tourmenté, lui qui vient de perdre sa mère (Michelle Williams). Dans les années 1970, ce préado du Minnesota est recueilli par sa tante, alors qu’une autre histoire se joue en parallèle, celle de Rose, une petite fille sourde du New Jersey qui, en 1927, semble passionnée par une actrice (Julianne Moore). Les échos entre les époques sont d’abord multiples, Haynes s’autorisant à mélanger différents temps de la seule vie de Ben – comme la répétition poignante de cette scène où il épie sa mère en train de rêvasser sur Space Oddity de David Bowie dans sa chambre, alors qu’on sait, la deuxième fois, qu’elle est déjà décédée.
La construction du récit se simplifie ensuite pour appuyer le parallèle entre les trajets de Ben et de Rose. Après que le gosse perd lui-aussi l’ouïe (on comprend enfin pourquoi il ne faut pas téléphoner pendant un orage), il décide de fuguer à New York pour chercher son père inconnu ; Rose y va, elle, pour rencontrer l’actrice qui l’obsède. Chacun découvre alors la ville fiévreuse avec un émerveillement d’autant plus intense qu’ils n’ont que la vue pour l’appréhender. Haynes, à qui la surdité de ses héros permet aussi de laisser presque toute la bande-son aux géniales compositions de Carter Burwell, filme avec un plaisir évident les rues de New York qui grouillent de vie – des travailleurs blancs dans les années 1920 ; une population beaucoup plus mixte dans les seventies. Si l’aventure de l’un comme de l’autre héros n’a rien de sensationnel, l’émotion affleure plutôt dans de doux échos entre les êtres, les temps et certains motifs comme les étoiles, qu’on perçoit autant dans les lumières de la ville que dans les yeux de ces touchants enfants.