Sur les colonnes Morris, on ne voit jamais les affiches de cinéma de Laurent Durieux. Elles sont plutôt exposées dans des galeries ou accrochées chez des amateurs d’objets de collection. Peut-être sont-elles trop énigmatiques et poétiques pour être utilisées comme supports publicitaires. Il faut voir son poster pour Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock, avec Tippi Heddren de dos sur un ponton, ou encore celui des Dents de la Mer de Steven Spielberg, sans aucun requin, pour prendre la mesure de son art de la suggestion.
D’ordinaire, les affiches de films sont contraintes aux exigences du marketing : elles doivent être immédiatement lisibles, respecter des codes esthétiques précis censés toucher certains publics cibles… Si Durieux peut se permettre de proposer des œuvres cryptées, c’est qu’il ne travaille généralement pas pour les distributeurs de films. Son travail s’inscrit dans le courant de l’affiche de cinéma alternative, un mouvement d’artistes qui revisitent les films culte par le biais d’affiches originales. Depuis quelques années, ils ont la cote : leurs œuvres sont souvent écoulées dans la minute de leur mise en vente sur Mondo Tees, site de vente de produits dérivés sur le cinéma fondé en 2004 et qui est depuis devenu une galerie d’art spécialisé en la matière, d’abord à Austin puis à Paris. « Ces affiches de cinéma sont calquées sur le concept des « geek posters », très populaires dans le milieu du rock underground » explique Durieux, dont les productions sont vendues et exposées par Mondo.
C’est en publiant dans le très réputé Lϋrzer Archive, bimensuel autrichien consacré au design, que l’illustrateur formé dans une école d’art et de design à Bruxelles s’est fait remarquer par Mondo. A l’époque, ses « travel posters » évoquent un monde rétro-futuriste à la H.G Wells, « l’avenir tel qu’on se le représentait dans les années 1940-1950 » explicite-t-il. « Ils m’ont envoyé un mail et, en une semaine, ma vie a complètement changé. Depuis, je ne fais quasiment plus que des affiches de cinéma. » Il y déploie sa patte reconnaissable : un trait clair et ciselé, des teintes bleues et orangées très fifties, d’imposantes machines futuristes, des silhouettes fugaces, une tension qui plane… Récemment, Gaumont lui a commandé une affiche pour Le Sens de la Fête, le nouveau film d’Éric Toledano et Olivier Nakache : un univers a priori très éloigné de son goût pour la science-fiction : « C’est ma première affiche officielle, et la première fois que je travaille sur une comédie. » Durieux a dessiné les principaux personnages du film, des traiteurs qui organisent un mariage, sous une cloche de restaurant. Minimale et intrigante, l’affiche donne juste envie de voir le film sous le couvre-plat.